Voici l’histoire d’un personnage haut en couleur, qui depuis dix ans a tout donné pour aider des milliers de gens, enfants, personnages âgées, familles et soldats dans le Donbass. Il n’est pourtant pas du Donbass lui-même, mais quelle importance face au malheur et souffrances des populations de cette région touchée par une guerre terrible depuis dix ans ? Originaire de la région voisine et du grand port de Rostov-sur-le-Don, la différence entre le Donbass et la grande plaine des Cosaques se situerait à peu près au même niveau que si nous parlions de la Bourgogne et de la Franche-Comté. Youri est au début de la quarantaine et plus de la moitié de sa vie d’adulte a été consacrée à apporter de l’aide humanitaire partout où cela était nécessaire. Lorsque le conflit éclata en 2014, il fut l’un des premiers avec ses modestes moyens à sillonner le Donbass pour aider des gens. Son histoire, c’est aussi un peu la mémoire du Donbass, et bien au-delà celle de l’âme russe.
Un coeur « gros comme ça » et un courage sans limite. Nous roulons dans un minibus où le hasard m’a placé tout au fond du véhicule. Mon voisin de siège est Youri Mezinov. Nous échangeons rapidement des civilités, puis nos expériences, et nous comprendrons vite avoir vu les mêmes endroits oubliés de Dieu, notamment la petite ville de Zaïtsevo, au Nord de Gorlovka. Nous aurions pu même nous croiser à cette époque, en 2015-2016. Youri me raconte les premiers mois de ces missions dans le Donbass, notamment dans le printemps et été 2014. J’écoute avec attention ses aventures et anecdotes, je sais qu’un tel personnage en aura quantité à me raconter. Je sais aussi que son regard en dit long. Derrière une force de caractère exceptionnelle, derrière ce courage et ce cœur et générosité immenses, il y a l’homme simple et généreux, l’homme à l’empathie rare et précieuse. Cette empathie je l’ai rarement rencontré même chez les humanitaires, et les raisons d’un tel engagement sont parfois à l’opposé des actions revendiquées. Youri, lui n’est pas de ce bois là. Plus rares encore sont ceux qui se sont enfoncés dans l’enfer du front, pour apporter de l’aide sur la première ligne, où vivent beaucoup de gens. Il n’y a d’ailleurs pas que des humains, mais aussi beaucoup d’animaux domestiques. L’immense majorité des fonds humanitaires, surtout parmi les initiatives privées, se contentent de rassembler des fournitures, des vivres et du matériel, qui sont conduits dans des bases et entrepôts, avant leur distribution par d’autres volontaires aux populations. Youri lui, se rend depuis toujours là ou personne ne veux, ou peux aller : dans la fournaise du front.
Au volant de ma voiture, je voyais des étincelles sur la route, il faisait nuit… lorsque j’ai compris que je me faisais tirer dessus. C’est l’une des anecdotes que me raconte Youri, lorsque dans les premières semaines, il s’égara sur le front en pleine nuit. La situation était tendue, car à cette époque le front n’était pas fixée ni stable. Les ennemis pouvaient se trouver à peu près n’importe où, et une voiture roulant dans la nuit pouvait être prise à partie par les deux camps, surtout si elle roulait à vive allure. L’histoire se termina d’ailleurs nez à nez avec des miliciens, braquant leurs armes sur sa voiture. Gardant son sang froid, il posa ses mains sur le pare-brise pour bien signaler qu’il n’avait pas d’intention agressive. Sur sa voiture se trouvait une affiche, indiquant le nom de son association, et qu’il apportait de l’aide en « Ukraine ». Les miliciens énervés posèrent alors rudement des questions : « T’es qui toi ? D’où tu viens, alors comme ça t’apporte de l’aide à l’Ukraine ? »… sans parler du fait qu’il se trouvait en pleine nuit au milieu d’un combat. Ayant compris enfin qui il était, Youri pu poursuivre son chemin, vers d’autres missions et dangers. Cette anecdote résume un peu tout ce que Youri a dû affronter pendant toutes ces années. Cette idée d’aider les gens n’étaient d’ailleurs pas d’aujourd’hui, car sa profession était à cette époque celle de pompier (début années 2000). Il avait notamment avec ses collègues apporté de l’aide aux réfugiés d’Ossétie du Sud (2008), et participé à des opérations de sauvetage en Crimée lorsqu’elle fut victime de graves inondations (2012). Naturellement, car c’était une évidence pour lui, il se porta aux secours des populations du Donbass (2014). Il n’a jamais quitté ce front.
Au secours de communautés isolées et cloisonnées par la guerre. Les premières missions se déroulèrent dans la région de Donetsk et Gorlovka, et ne se limitèrent pas seulement à apporter de l’aide. Au fur et à mesure du temps, il rassembla une petite équipe de volontaires, qui apportèrent à leur tour d’autres connaissances et talents. Ici, ils purent rétablir l’électricité, ailleurs construire une église, alors que celle du village avait été anéantie par les bombardements ukrainiens. Les actions pour les enfants furent les plus nombreuses, et dans les moments où il n’y avait pas de finances, Youri tenta d’organiser des spectacles et des activités pour les plus jeunes. Comme dans mon cas, père de famille, le sort des enfants dans le Donbass le toucha personnellement et profondément. J’ai senti rapidement ce talon d’Achille, que je connais également très bien, mais qui est aussi une force incroyable. Cette force qui permet de soulever des montagnes et d’avancer sans se retourner, y compris en mettant sa propre vie en danger. Le danger, Youri l’a connu de très nombreuses fois, que l’on parle des débuts de la guerre, jusqu’au lancement de l’opération spéciale russe. Comme beaucoup, il fut dans l’indécision, voire par moment tourmenté : devait-il prendre une arme ? Devait-il défendre ce petit peuple russe du Donbass les armes à la main ? Il fut toujours encouragé par de nombreuses personnes à n’en rien faire, son rôle étant réellement essentiel et capital. Ayant suivi des humanitaires très souvent dans le Donbass, j’ai très bien compris, qu’aux côtés des soldats, des personnel médicaux et des services d’urgence, des fonctionnaires et politiques, les humanitaires sont un rouage capital dans cette guerre. Des hommes et des femmes comme Youri ont tissé des réseaux avec les civils sur le front, et l’arrière du front. Ils purent apporter de l’aide là où aucune association internationale, ou nationale n’aurait osé se rendre. Ils ont aussi maintenu un lien social et humain avec des communautés cloisonnées et isolées dans cette guerre. Ce lien c’est aussi démontrer à ces gens qu’ils ne sont pas abandonnés, et les supporter moralement et spirituellement. Et ceci n’a pas de prix.
Depuis l’opération spéciale, l’association de Youri s’est trouvée sur tous les fronts, Marioupol, Donetsk, Zaporojie, Kherson, Kharkov, Lougansk. C’est dans cette république que se trouve sa base arrière, où toute une équipe travaille d’arrache-pied pour préparer les futurs missions. C’est aussi un dépôt où sont rassemblés les denrées alimentaires, matériels, équipements et même jusqu’à des ordinateurs qui attendent d’être distribués là où cela est nécessaire. Vous pouvez suivre Youri quotidiennement sur son canal Telegram. Pour ceux qui voudraient aider en envoyant des fonds, veuillez passer comme par le passé par la structure de Christelle Néant et l’agence International Reporters, en indiquant adresser ces dons à Youri, l’Ange du Bien. Youri est aussi le responsable régionale pour la région de Lougansk, du fonds Prilepine. Les Ukrainiens avec l’aide de l’OTAN ont tenté de l’assassiner par un attentat à la bombe manqué (6 mai 2023), dans la grande opération terroriste que l’Ukraine mène depuis des années. Youri Mezinov est aussi menacé de mort par les Ukrainiens. Pour l’Ukraine l’exemple de Youri est insupportable, le bandérisme de toute façon naquit dans dans les attentats à la bombe et les assassinats de personnalités, à l’époque essentiellement polonaises.