C’est l’histoire d’un habitant de Moscou, dont la vie n’était pas destinée à prendre le chemin du front. Anonyme dans la mégalopole moscovite, il avait suivi jusqu’à lors un chemin paisible, avec les horizons de la majorité des citoyens lambda de Russie. Tout aura changé dans sa vie par un premier choc domestique, un accident de vie. De ce dernier, après un changement radical de direction dans sa carrière, il s’est porté volontaire en octobre 2022, dans l’armée russe. Et de là, sans avoir une formation quelconque dans le domaine, il s’est lancé dans la construction de drones pour les soldats russes. L’histoire de Iaroslav, c’est celle de nombreux Russes, dont la destinée a été profondément changée par l’opération spéciale, et par les mutations non moins profondes de la société russe. Sans parler de la mutation et révolution du drone qui s’est invité comme arme nouvelle et du futur.
D’études supérieures brillantes… au travail de chef-cuisinier. La quarantaine, déjà les tempes grisonnantes, je rencontre Iaroslav dans la ville de Donetsk. Il a accepté de me raconter son histoire, qui m’intéresse particulièrement, à la fois parce que justement il est un simple citoyen russe, mais aussi évidemment par son activité du moment : les drones. Né à Moscou, Iaroslav a suivi un parcours universitaire en droit. Après ses études, devenu juriste, sa vie était celle de l’immense majorité des habitants de la capitale. C’est un accident de voiture, très grave, qui vînt interrompre une première fois le cours tranquille de sa vie. Ressentant profondément des envies de changements, c’est alors qu’il devînt chef-cuisinier et travailla longtemps dans un restaurant. Motivé, curieux, je fus surpris de nos conversations « culinaires » et de l’étendue de son savoir gastronomique. Je sentais dans son récit et les détails qu’il me donnait de son parcours, que cette étape avait été capitale, une sorte de retour à l’essentiel, aux choses simples. Interrogé sur sa vision des choses qui se déroulèrent en Ukraine à partir du second Maïdan (2014), il me répondit qu’il avait conscience des événements, mais également du fait que ce qu’il connaissait de l’information venait des médias, une vision déformée. Il ne m’apparut pas spécialement politisé, et dans son récit, à aucun moment, je ne l’entendis émettre un avis politique, une critique, que ce soit dans le sens du gouvernement russe, et encore moins contre lui.
De l’enrôlement dans un bataillon de volontaires, aux drones. Son attention fut captée par le lancement de l’opération spéciale russe en Ukraine. Patriote, il suivit comme tout le monde les premiers combats, les premières victoires, mais aussi défaites. A l’automne 2022, alors que la situation militaire amenait la perte de l’initiative stratégique pour les armées russes et républicaines, il se décida à mettre en adéquation ses pensées par des actes. C’est ainsi qu’il s’enrôla dans un bataillon de volontaires, et après une période d’entraînement fut envoyé sur le front (hiver 2022-2023). Après la fin de son contrat, Iaroslav aurait très bien pu rentrer dans ses pénates, avec le sentiment du devoir accompli. Mais sa période de service lui avait fait prendre conscience de l’importance des changements dans la façon de faire la guerre, et de l’omniprésence des drones. Sans avoir jamais reçu une formation d’ingénieur, ou même d’électronicien ou autre, il s’est retroussé les manches et s’est lancé dans l’apprentissage de la connaissance des drones… et de leurs création et construction. En moins d’un an, il est ainsi devenu l’un des meilleurs spécialistes. Il navigue ainsi entre le front et la capitale moscovite, et travaille à domicile après avoir investi dans un important matériel. Sa production est bien sûr limitée, mais il est loin d’être seul, et de grandes entreprises produisent en masse des drones pour l’armée et le front. A son niveau, Iaroslav peut toutefois produire un drone opérationnel en quelques jours. Il dispose également d’un réseau de camarades sur le front, qui parfois lui apporte des drones ukrainiens de prise, s’étant écrasés, ou n’ayant pas fonctionné. Mais comme nous allons le voir, Iaroslav n’aurait pas besoin de démonter… des machines à laver ou des drones ukrainiens pour produire les précieux matériels !
Des unités industrielles russes capables de sortir des milliers de drones par mois. Nous poursuivons la discussion sur les aspects techniques de son travail, et sur la production de drones en Russie. De son coffre de voiture, l’homme me sort des appareils en cours de réalisation et m’explique son travail. Mes premières questions seront posées sur la capacité de la Russie à répondre aux besoins du front. Il m’explique que l’essentiel des composants viennent de… Chine et d’Asie, et qu’il n’y aucun problème pour se fournir de ce côté là. Il me montre des batteries qu’il assemble entre elles, mais aussi des pièces qu’il réalise avec une imprimante 3D. C’est un jeu d’enfant ou presque, selon lui, de produire tous les éléments nécessaires, et la Russie d’ailleurs produits elle-même une partie desdits composants, ou les matières premières nécessaires. Dans sa formation, il m’indique avoir vu des unités de production capables de sortir 5 000, 10 000, 15 000 drones par mois, qui sont ensuite envoyés sur le front. La principale difficulté réside surtout dans la formation des personnels et opérateurs de drones. Selon lui, tout le monde n’est pas en capacité d’apprendre à diriger les drones. Il n’y a pas de règles d’après lui et les plus jeunes ne sont parfois pas plus doués que les plus anciens. Les drones sont évidemment destinés à plusieurs missions, d’abord de reconnaissance et d’observation et également d’attaque et destruction. Interrogé sur l’arme des drones, il explique que des tactiques sont nées, des procédures, et que la mutation de cette arme est déjà profonde depuis le début de la guerre (2014). En parallèle se développe aussi la lutte anti-drone, et la recherche russe planche sur d’autres concepts d’utilisation du drone. C’est cette prise de conscience de l’importance de cette nouvelle arme dans les guerres, qui a été le déclic de son engagement dans ce domaine. Au lieu de rester à l’arrière, impuissant et inactif, Iaroslav a trouvé là sa place pour continuer à soutenir les soldats, et apporter sa petite pierre à l’édifice de la victoire. Hélas, les questions les plus pointues que nous avons évoquées, resteront absentes de cet article, pour des raisons évidentes de sécurité et de secrets qu’il faut garder pour ne pas donner d’informations à l’ennemi atlantiste.
Une chose est sûre, la Russie travaille d’arrache-pied à produire des drones, des centaines de milliers… Les plus petits ne coûtent pas 300 euros, d’autres bien sûr demandent plus de moyens, mais personne ne peut ignorer qu’ils ont changé la face de la guerre. Les dernières inventions qui dans l’histoire militaire ont chamboulé cette dernière, furent l’avion, le char, le missile, l’informatique, le satellite, et maintenant… le drone. Malgré les complications, et la naissance de cette arme, ce qui implique de penser et créer des structures, des états-majors, des stratégies et tactiques, des centres de formation, des centres de recherche, une chose est certaine : La Russie n’est pas en retard, et les sanctions ne l’empêchent nullement de développer et produire cette arme capitale. Le drone nous surprendra encore, d’autres emplois seront imaginés, d’autres drones plus puissants, ou spécialisés seront inventés ou sont en cours de l’être. Aucune armée au monde désormais ne pourra se passer de lui. Quant à Iaroslav, il est symboliquement, l’image de la Russie industrieuse et patiente. Une Russie qu’en Occident on a méprisé et méprise de nos jours, une Russie qui déjouera tous les plans catastrophes qui étaient prédits pour elle par des « analystes » des plateaux TV de LCI ou BFM TV… ou du gouvernement français.
2 Comments
Bonjour Laurent
Un honorable patriote!
Oui comme beaucoup de Russes, le mot patriotisme, veut dire quelque chose, et c’est admirable