Analyses Russie

De Piotr Badmaev et Raspoutine, à un mouvement sectaire de la 6e colonne

De Piotr Badmaev et Raspoutine, à un mouvement sectaire de la 6e colonne
https://biographe.ru/znamenitosti/sergij-romanov/?gallery=photo&id=0 photo Biograph.ru

Parmi les personnages troubles qui peuplèrent l’entourage de la famille impériale russe, et qui sont aujourd’hui une sorte de référence délirante dans les milieux de la 6e colonne, voici l’histoire de Ptior Badmaev. Il fut l’un des mauvais démons de la cour de Saint-Pétersbourg, et si Raspoutine dans l’histoire lui a volé la vedette, son nom est toujours sur certaines bouches, dans un grand rêve, plus ou moins relié à des considérations mystiques et à l’histoire de la Horde d’Or. Il fut l’homme qui souffla dans les oreilles du Tsar, que la Russie, le Tibet, la Mongolie et la Chine ne devraient constituer qu’un seul et unique État. Plus proche de nous, un certain Nikolaï Romanov, chef d’une secte dans l’Oural, héritier de Badmaev et Raspoutine a défrayé la chronique. Son réseau menait tout droit à la 6e colonne, des politiques véreux et une secte dangereuse.

Des origines du Raspoutine bouriate. Sa date de naissance est inconnue mais se situe probablement entre 1849 et 1851. Bien plus tard, il tenta de faire croire qu’il était né vers 1807-1810, dans un narratif de charlatan car il s’improvisa ensuite « docteur ». Il naquit dans les confins asiatiques de la Russie, dans la région de Transbaïkalie, d’une famille de nomades bouriates. Son vrai nom était Jamsaran Badmaev, mais il fut plus tard baptisé sous le prénom orthodoxe à l’Université de Saint-Pétersbourg (1871). Orientaliste et polyglotte, il réussit à entrer dans le département asiatique du Ministère des Affaires étrangères (1875), et commença son ascension. Son frère fonda dans la capitale russe une pharmacie spécialisée dans les herbes médicinales tibétaines. S’étant infiltré dans les cercles de pouvoir, il se mêla bientôt à la haute société aristocratique russe. Il épousa même une fille d’un conseiller du Tsar (1877). Il se lança via son magasin, dans la confection de remèdes à base de plantes de sa propre fabrication et eut rapidement un grand succès. Son affaire prospéra au point qu’il créa une maison de négoce, Badmaev et Cie (1893-1897), et se lança dans la publication d’un premier journal à Tchita en Transbaïkalie (1895). Il fut bientôt appelé au chevet du Tsar et de ses enfants, et garda cette confiance à la fin du règne d’Alexandre III et durant celui de Nicolas II.

Du conseiller d’État aux théories fumeuses du « Tsar Blanc ». Il fut présenté au tsar Alexandre III après des expéditions en Mongolie, au Tibet et en Chine (1893). Il lui remis en mains propres un mémorandum sur le thème « Des tâches politiques de la Russie dans l’Asie de l’Est ». Il y affirmait que la dynastie mandchoue qui régnait en Chine s’écroulerait bientôt (ce en quoi il avait raison), et prédisait que les Britanniques s’installeraient bientôt dans ce pays et jusque dans le Tibet (ce en quoi il avait tort). Il proposait de mener une politique vigoureuse, afin d’empêcher les Britanniques de s’installer, et surtout de fonder un empire qui comprendrait la Russie, la Mongolie, la Chine et le Tibet. Il affirmait que les Chinois accepteraient la domination des Russes. Alexandre III tendit l’oreille, en gardant une certaine réserve. Au même moment, les Russes étaient engagés dans la construction du fameux Transsibérien, et Badmaev proposait de construire une nouvelle ligne, bifurquant vers le Sud, la Mongolie, la Chine et le Tibet. Selon lui, cette voie de chemin de fer permettrait de s’emparer du commerce de la région, une sorte de route de la Soie inversée, qui assurerait une puissance commerciale et économique de la Russie sans égale. Le ministre des Finances apporta son soutien, mais Badmaev ne put convaincre Alexandre III. Son influence se renforça toutefois sous le règne suivant, celui de Nicolas II. Il fut nommé tour à tour, général, puis Conseiller d’État (1902), et avec l’aide de Raspoutine en personne, influença bientôt le souverain russe.

Du conseiller influent auprès du Tsar, à la fin misérable. Badmaev continua d’envoyer des projets et autres idées fumeuses à Nicolas II, tentant de lui faire entendre que sa mission était de fonder ce gigantesque empire, avec comme but ultime le Tibet. En 1904, il n’hésita pas à qualifier les tensions avec le Japon, comme des problèmes mineurs, et insista pour que la Russie s’engage dans une autre politique en Asie. La guerre russo-japonaise qui s’ensuivit devait bientôt lui donner tort et conduire à la Révolution de 1905. Il tenta ensuite de convaincre de la nécessité de construire une extension du Transsibérien vers la Mongolie (1911-1916), qui fut finalement réalisée plus tard, à la toute fin de l’ère soviétique (1989). Le désastre final pendant la Première Guerre mondiale, qui déclencha la Révolution de Février puis d’Octobre (1917), provoqua bien vite son expulsion vers Helsinki, puis son arrestation à Saint-Pétersbourg (1919). Il fut jeté dans une prison de la ville, puis déporté dans un goulag, où il ne tarda pas à terminer sa vie, le 1er août 1920. Ses théories lui ont toutefois survécu, à travers certains de ses ouvrages, s’inspirant de différentes légendes mystiques, dont celle du Shambhala. Il s’agit d’un pays mythique et imaginaire, sorte d’espace dimensionnel qui ne pourrait être atteint que par des gens ayant atteint un certain niveau de Karma. Cette légende s’était répandue en Europe via la Théosophie, qui imagina que ce territoire serait une des terres antiques disparues. Parmi elles bien sûr, la Lémurie, aussi appelée le continent d’Hyperborée, ou encore l’Atlantide et leurs mystères. Shambhala fit même l’objet de réelles expéditions, digne d’Indiana Jones, comme celle lancée par le couple russe Nicolas et Elena Roerich (1874-1947, 1879-1955), entre 1926 et 1928, et qui se termina dans les confins de l’Himalaya. L’Ukrainien, bolchevique, agent de la Tchéka et de la Guépéou, et assassin, Iakov Bloumkine (1900-1929), participa également à cette expédition. Il fut fusillé peu de temps après comme un agent trotskiste. L’expédition ne trouva bien sûr rien. Cependant, les nazis eux-mêmes s’intéressèrent beaucoup à ce mythe, et lancèrent également deux expéditions au Tibet (1934-1935 et 1939). Dans le cadre de l’Ahnenerbe, Heinrich Himmler fut à l’origine de ces expéditions, que le film américain Sept Ans au Tibet a évoqué (1997). Ces expéditions n’eurent pas plus de succès que les premières.

L’étrange père Sergeï, opposant politique lié à la 6e colonne. Dans les survivances de l’esprit de Raspoutine ou de Badmaev, qui sont toujours à l’œuvre en Russie, voici le cas de Nikolaï Romanov, alias Père Sergeï, un complotiste, antisémite et fondateur d’une secte dangereuse qui a été démantelée dans l’Oural. Il naquit en 1955 et devînt policier (1975-1979), mais fut limogé et fut mêlé à des vols et des escroqueries. Il fut condamné ensuite à 13 ans de prison, pour un meurtre lors d’un cambriolage (1984), et purgea sa peine (jusqu’en 1997). Il devînt ensuite prêtre dans l’église orthodoxe (séminaire de Moscou, 1998-2005), dont il fut finalement exclu pour absentéisme (ordonné prêtre en 2001). Son ordination provoqua un scandale interne, à cause du meurtre qu’il avait commis, et qu’il avait caché ce fait. Il fut dénoncé par une journaliste comme exerçant illégalement, et lié à des escroqueries, dépouillant des gens de leurs biens (2013). En partant de son monastère il fit briser une cloche selon lui similaire au rite catholique, et fut envoyé par sa hiérarchie dans le monastère de Sredneuralsky. Plusieurs plaintes furent déposées contre lui pour des maltraitances d’enfants au sein du monastère (2014), qui furent classés sans suite. Il se mêla de politique, et à la manière de Raspoutine lança des accusations et des imprécations de plus en plus virulentes (2018). Il s’attaqua d’abord aux autres religions, condamnant la tolérance qu’il jugeait coupable, insultant et menaçant régulièrement des membres d’autres confessions. De là, il répandit une bouillie idéologique et mystique, autour du « complot de la Bête et de Satan », « le complot mondial des Juifs », en parlant de « youpins-maçons », de « youpins-communistes ». Il s’attaqua même au Kremlin en ces termes. Il tenta ensuite de surfer sur la vague anti-Covid et entra en conflit avec l’Église orthodoxe et le gouvernement russe (2020). Une enquête fut diligentée, et un monastère féminin (Sredenralsky), base arrière de sa secte fut infiltré par les services russes. L’endroit fut fermé (29 décembre) quand il fut découvert qu’il se livrait avec ses adeptes à des pratiques sexuelles pendables (rappelons-nous les mœurs de Raspoutine), la pratique de la pédophilie, et des maltraitances morales et physiques à l’intérieur des murs opaques du monastère. Il avait alors le projet de fonder d’autres monastères et même, projet fou, de construire la plus grande cathédrale du monde. L’Église orthodoxe le déclara schismatique, puis l’excommunia (10 septembre et 19 octobre 2020). L’Église demanda pardon publiquement pour son ordination (4 septembre 2020). En réponse, il déclara que l’Église orthodoxe était l’ennemie de la Russie et appela de ses vœux sa destruction. Il en appela même de manière pathétique au Président Poutine, dans un discours d’une rare violence, dans des termes racistes et antisémites inouïs. Plus tard, il affirma que les jours du Président étaient comptés, ainsi que ceux du Patriarche de Moscou. Lors de sa fermeture, le monastère accueillait 500 novices et religieuses, des pèlerins et de nombreux enfants malades ou handicapés. Du côté du gouvernement, le père fut arrêté, ainsi que plusieurs membres de la secte. Il fut condamné à 3,5 ans de prison (2021), puis à 7 ans (2023). Il pratiquait des exorcismes illégaux sous forme de spectacles, avec comme autel un cercueil, et au milieu des icônes sacrées, le portrait de Joseph Staline (tout en appelant à détruire les monuments de Lénine et son mausolée sur la Place Rouge). Il prônait justement l’arrivée du « Grand Tsar », entraînant des gens crédules à la manière de Raspoutine.

Épilogue, de la Crimée à la procureur de Crimée Poklonskaya. Durant sa période d’activité, il s’était rendu en Crimée, et avait réussi à entraîner dans sa secte la célèbre Procureur de Crimée, Poklonskaya (qui quitta la secte avec son mari en 2018). Elle fut définie par l’Ukraine comme le symbole des « traîtres en Ukraine ». Il avait entre temps fait beaucoup de bruits autour de la famille des Romanov et du dernier tsar Nicolas II. Il organisa même des processions, marchant avec un portrait du tsar, et montrant à l’envie une bague supposée ayant appartenu au souverain, en criant « qu’aujourd’hui le Tsar marchait avec vous » (il fut capable de rassembler jusqu’à 10 000 personnes). Il se lança dans des récits prophétiques, en déclarant que le retour de la monarchie était proche, et que la Russie reviendrait bientôt au temps d’un souverain autocratique, à l’image d’Ivan le Terrible. Ce fou dangereux réussit longtemps à échapper à la justice, grâce à des connexions politiques véreuses (qui ont été pour partie arrêtés et condamnés), mais aussi à son habilité à tromper les gens. Symbole de la 6e colonne, son réseau s’étendait jusqu’en Ukraine, et des pistes mènent aussi en France. Dans un prochain article nous évoquerons le pendant ukrainien du « Grand Tsar », notamment les partisans d’un Hetmanat en Ukraine, et de leurs adeptes, particulièrement le cas d’Oleg Marassin.

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