Après une crise politique qui s’est déroulée dans l’automne 2024, le gouvernement en place fut contraint à la démission, et des élections ont été programmées dans la république abkhaze. Dans un précédent article nous avions expliqué les problématiques politiques frappant cette petite république aux portes de la Géorgie, la longue histoire du conflit Abkhaze avec ce dernier pays, et présenté les différents leaders qui ont dirigé le pays depuis lors. La crise politique de l’automne dernier avait vu une sorte de putsch, avec des manifestations et des émeutes, qui fut initié par une opposition dont le chef de file était l’ancien Ministre de l’Économie Adgour Ardzinba. Après une éclipse politique depuis 2020, l’homme considéré comme un libéral et qui fut « Monsieur Monnaie virtuelle » en Abkhazie, est revenu sur le devant de la scène et s’est immédiatement présenté comme candidat à la présidentielle de 2025. Après le premier tour, la situation a de nouveau rebattu les cartes, créant une situation inédite.
Les deux candidats qui sont arrivés en tête de l’élection ont été Badra Gounba, dans la ligne du régime précédent, et Adgour Ardzinba le chef de file de l’opposition. Malgré les émeutes et violences de l’automne 2024, et le fait que nous aurions pu penser que l’opposition arriverait en tête, c’est bien Gounba qui est arrivé en tête du scrutin avec une avance confortable. Entre les deux tours, le leader de l’opposition mis en minorité a demandé une rencontre avec son adversaire, pour des discussions qui de fait sont apparues pour les analystes russes, comme des « négociations de marchands de tapis ». Les deux hommes se sont effectivement rencontrés (21 février), et ont signé un « accord pour des élections honnêtes ». Malgré ce dernier, l’opposition s’est immédiatement lancée dans des attaques au vitriol du candidat en tête, qui je le précise est aussi le président par intérim, suite la chute du régime l’automne dernier. Les principales récriminations sont dixit : « qu’il en ferait de trop par une agitation et manipulation permanente avec une politique de grands travaux ».
La pierre d’achoppement de cette discorde est que Gounba a réussi dernièrement à négocier un accord avec la Russie, au sujet de l’approvisionnement en électricité du pays, mais aussi d’autres accords de soutien dans divers domaines, dont la santé, l’éducation ou la culture. Durant son ministère Ardzinba avait justement voulu mettre en place un système de fermes de monnaies virtuelles, en changeant les lois nationales, afin de financer notamment la production ou l’achat d’électricité. Cette aventure s’était terminée en catastrophe, et le prix de l’électricité (déjà cher), avait explosé. De fait, les accords signés par Gounba avec la Russie sont donc considérés… « comme déloyaux », dans le contexte des élections, car ne pouvant que contenter l’opinion publique abkhaze. Une situation cocasse de reproches injustifiés, mais qui influeront certainement, on le comprend sur l’élection.
Sur ces entrefaites, Gounba avait ensuite rendu visite à la célèbre division Piatnashka, une unité miliaire fondée par les insurgés républicains du Donbass, en RPD. Cette unité, au départ un bataillon, avait été fondue dans les troupes du Ministère de l’Intérieur en RPD (vers 2018), avant d’être transformée en brigade internationale et en unité abkhaze (après 2022). L’opposition a également prit pour excuse cet simple visite, qualifiant cette dernière de manipulation. Son commandant, Ahra Avidzba étant revenu se reposer au pays, l’opposition n’a rien trouvé de mieux que d’envoyer des manifestants, par ailleurs armés, pour demander au célèbre combattant abkhaze de quitter le pays… L’opposition a affirmé que sa présence (par sa popularité et sa supposée fidélité au régime en place), empêcherait le respect « de l’accord sur des élections honnêtes ».
Le roman feuilleton abkhaze se poursuit, il ne reste que quelques jours avant la tenue du second tour de la présidentielle. Gounba est donné vainqueur dans les sondages, mais dans cette petite république, avec un peuple au sang chaud et qui a montré à maintes reprises son « amour des révolutions », tout est possible. Si le mot n’a pas encore été prononcé, il semble bien qu’Ardzinba joue toutefois un jeu dangereux, qui rappelle des manipulations bien connues que nous avons observées dans le pays voisin, la Géorgie. Les médias locaux supposent par ailleurs, qu’Ardzinba négocierait en faisant pression, une place dans le futur gouvernement de son potentiel vainqueur, ce qui expliquerait l’agitation politique qui se poursuit en Abkhazie et qui est motivée par l’opposition. Situation cocasse donc, reste à savoir si nous observerons, comme en France par le passé, une cohabitation.
Les deux candidats abkhazes ;
Adgour Ardzinba (1981-), originaire d’Abkhazie, il fit des études supérieures en génie civil (2001-2007), puis en économie (2007-2009), avant d’être nommé maître de conférence à l’université d’Abkhazie (2010). Il devînt conseiller économique dans le Comité National des douanes (2011-2013), et fut recruté par le Ministère de l’Économie, chef de département (2012-2015). Il intégra l’Académie russe de la fonction publique pour renforcer ses connaissances (2013). Il remporta le Prix national de Jeune Leader, dans la catégorie « du meilleur économiste » (2014). Il fut nommé Ministre de l’Économie (2015-2019), et engagea immédiatement le pays dans la création d’une crypto-monnaie abkhaze. Il affirmait à l’époque que « l’avantage de ce marché de la crypto-monnaie est lié au fait que tout citoyen dans le monde entier peut investir dans notre économie, sans craindre des sanctions ou des limitations qui sont imposées par la communauté internationale » (2015-2017). Il conduisit vite le pays dans une impasse, demanda son soutien à la Russie dans son projet de crypto-monnaie (ce qui lui fut refusé), menaçant de faire exploser la petite république par une production effrénée de crypto-monnaies, avec de très graves conséquences. Il s’éleva au poste de vice-premier ministre, en conservant son poste de ministre (2019-2020). A la même époque, il suivit des cours à la London School of Economics and Political Science et fut sans doute approché par les Occidentaux (2019). Il envisagea une plus grande carrière politique et se présenta à l’élection présidentielle (2020), chef d’un mouvement citoyen et libéral, il réussit à se hisser à la 2e position (35,42 % des voix). Il fit campagne sur un programme libéral, de modernisation et de lutte contre la corruption, mais fut largement battu au second tour. Il entra ensuite dans l’opposition, prenant la tête du Mouvement Populaire Abhkaze (octobre 2020). Il s’attaqua au nouveau gouvernement et dénonça la détérioration des relations entre la Russie et l’Abkhazie. Il est considéré comme étant derrière les troubles politiques qui sont apparus en novembre dernier (2024), et immédiatement après présenta sa candidature à la présidence d’Abkhazie. Le feuilleton se poursuit, il existe de grands risques s’il parvenait à ses fins qu’il reprenne son projet de transformer l’Abkhazie en république crypto-mafieuse.
Badra Gounba (1981-), originaire de la région de Soukhoumi, il vit des études supérieures en gestion et audit (2003), et entra dans la fonction publique en Russie, dans l’administration de la ville de Saratov (2003-2006). Il soutînt un doctorat en économie et gestion (2007), et revînt en Abkhazie. Il fut embauché comme assistant juridique dans le Cabinet des Ministres de la république (2007-2009), et fut nommé vice-ministre de la Culture (20009-2011), puis Ministre à ce poste (2011-2014). Il fut nommé vice-président de la République d’Abkhazie (2020-à nos jours), et c’est lui qui assure l’intérim de la Présidence depuis la démission de Brzania (19 novembre 2019), et de nouveau après le putsch de l’automne 2024. Il fut candidat à l’élection présidentielle de 2025, et arriva en tête du premier tour de cette dernière (février).
