L’Ukraine a commencé cette année à extraire du gaz de schiste par fracturation hydraulique dans la partie du Donbass qu’elle occupe, au risque de provoquer un véritable écocide et de transformer la région en zone totalement inhabitable.
Un projet de longue haleine
Ce projet d’extraction de gaz de schiste en Ukraine ne date pas d’hier, et sur une telle durée les opinions de certains hommes politiques ukrainiens ont eu le temps de changer pour s’adapter à la nouvelle donne.
Ainsi, il y a 10 ans, ce sont les membres de l’actuelle opposition ukrainienne qui ont promu le projet gouvernemental d’appel d’offre pour exploiter le gaz de schiste dans la zone d’Iouzovski, située dans le Donbass et dans la région de Kharkov ! Il faut dire qu’avec des réserves estimées à 3 600 km³ il y a de quoi faire tourner la tête de bien des oligarques, mais il fallait des sociétés solides pour investir dans un tel projet.
Ce sont les sociétés Shell et Chevron qui ont répondu les premières à l’invitation de l’Ukraine et ont obtenu un contrat d’exploitation du sous-sol du Donbass pour 50 ans renouvelables. Shell a déclaré vouloir investir 6 milliards de dollars pour le développement de l’exploitation du gaz de schiste dans l’est de l’Ukraine.
Et tout cela a été activement promu et soutenu par le parti des Régions, c’est-à-dire l’opposition ukrainienne actuelle, qui aujourd’hui s’oppose à ce projet. Pourtant avant le Maïdan cela ne les avait pas dérangé de vendre une partie de leur terre natale à des investisseurs étrangers, en sachant parfaitement qu’ils condamnaient le Donbass à devenir une région polluée et invivable à cause des dégâts environnementaux irréversibles que la fracturation hydraulique (nécessaire pour extraire le gaz de schiste) provoquerait !
C’est là qu’on voit qu’en matière de politique ukrainienne, les intérêts financiers de tel ou tel oligarque sont le réel moteur des choix politiques des différents partis, bien plus en tout cas que l’origine géographique de tel ou tel politicien.
En janvier 2013, les conseils régionaux de Donetsk et Kharkov approuvent un accord d’extraction de gaz de schiste dans la zone d’Iouzovski. Cette décision provoque des manifestations à Slaviansk, Kramatorsk, Marioupol, Kharkov et Donetsk, et des organisations de protection de l’environnement lancent un recours contre cette décision.
En vain, le 24 avril 2013, la cour administrative régionale de Donetsk refuse le recours de ces organisations visant à annuler la décision du conseil régional. L’Ukraine déroulait alors le tapis rouge à Shell en la faisant bénéficier d’abattements fiscaux en échange des 410 millions de dollars qu’elle promettait de dépenser pour l’exploration géologique.
À l’époque d’autres sociétés sont prêtes à mettre sur la table 6 milliards de dollars pour exploiter d’autres champs gaziers, comme celui de la Mer Noire et du plateau d’Azov, qui était convoité par Exxon.
Mais la guerre civile qui éclate début 2014 met à mal (temporairement) ces jolis projets, comme s’en est plaint publiquement l’ex-ministre ukrainien de la Défense, Andreï Zagorodniouk. Ce dernier a d’ailleurs déclaré que si le projet d’Exxon avait été signé avant l’éclatement de la guerre, les États-Unis et l’OTAN auraient plus activement défendu l’intégrité territoriale de l’Ukraine (et entre autre la Crimée), puisque l’argent de leurs compagnies auraient été en jeu.
Burisma et le clan Biden derrière la « révolution du gaz de schiste » en Ukraine
Car Shell et Chevron ne sont pas les seules sociétés impliquées dans le projet d’extraction de gaz de schiste dans le Donbass. Burisma Holdings, la fameuse société dans le conseil de surveillance de laquelle siégeait Hunter Biden, le fils de l’actuel Président américain, Joe Biden, est aussi de la partie.
La même société impliquée dans la fameuse affaire du « procureur ukrainien démissionné » sur ordre de Joe Biden, alors Vice-président américain. Société dans le conseil d’administration de laquelle siège désormais Joseph Cofer Black, un ancien de la CIA et aussi ancien Vice-président de Blackwater.
Avec cela en tête et en sachant que le contrat pour l’extraction du gaz de schiste du Donbass était déjà signé avant le Maïdan et que le premier champ exploité se trouve à côté de Slaviansk, la bataille pour la reconquête de cette ville par l’Ukraine au tout début de la guerre en 2014 prend une toute autre dimension.
Il ne s’agissait pas seulement de mater l’insurrection populaire dans le Donbass, il fallait aussi et surtout récupérer la ville dans laquelle des milliards de dollars avaient été investis par des sociétés occidentales pour l’exploitation du gaz de schiste !
Ce qui explique la présence de plusieurs centaines de mercenaires de la société américaine Academi (anciennement Balckwater) aux côtés de l’armée ukrainienne lors de la bataille de Slaviansk ! L’Oncle Sam tenait à défendre ses investissements, fusse de manière non-officielle.
D’ailleurs moins de 3 semaines après la reconquête de la ville par l’Ukraine, l’armée ukrainienne aidait à installer des puits de forage de gaz de schiste près de Slaviansk ! Montrant par là-même que du côté de Kiev, la guerre du Donbass n’est pas qu’une affaire d’intégrité territoriale, mais surtout une histoire de gros sous.
L’exploitation du gaz de schiste dans le Donbass va transformer la région en désert toxique
Le problème majeur est que cette extraction du gaz de schiste dans le Donbass va provoquer un écocide dans la région et la rendre invivable. Si cette extraction a été interdite dans plusieurs pays occidentaux c’est justement à cause de sa dangerosité.
Car pour extraire le gaz de schiste il faut utiliser la méthode de la fracturation hydraulique. Pour faire bref, on injecte dans le sous-sol de l’eau chargée de produits chimique (dont des biocides) sous très haute pression afin de fracturer la roche qui contient le gaz convoité, et pouvoir ainsi le récupérer.
Le problème c’est que les produits chimiques contenus dans le liquide de forage sont toxiques, peuvent s’échapper de la roche dans laquelle ils sont injectés, et aller contaminer le sol et les nappes phréatiques, tuant les racines des arbres et transformant la zone en marécage toxique.
De plus la fracturation de la roche fragilise les différentes couches géologiques et peut provoquer des séismes. Pire, dans une zone déjà criblée de mines de charbons, et donc de galeries creusées dans la roche, ce type d’exploitation pourrait provoquer des affaissements de terrain.
Et ne parlons même pas des paysages ravagés par l’installation de dizaines de points de forage rendus nécessaires par la faible durabilité de ces puits. En effet, la technique de la fracturation hydraulique est certes très productive au début, mais il y a peu de gaz dans chaque zone du réservoir, qui se vide donc très vite, et il faut donc passer à une autre zone assez rapidement. Résultat, en quelques années, la zone exploitée est couverte de puits perdus au milieu d’un désert.
Le 13 janvier 2021, Naftogaz annonçait avoir commencé à envoyer dans les gazoducs le gaz extrait du réservoir d’Iouzovski près de Sviatogorsk, dans la région de Slaviansk. Là où le matériel de forage avait été amené dès 2014 une fois Slaviansk reconquise par l’armée ukrainienne. Ces puits appartiennent au groupe Burisma.
Le problème est que ces puits de forage sont situés non loin de la rivière Seversky Donets, qui est la rivière principale du Donbass. Si les produits chimiques utilisés pour fracturer la roche atteignent la rivière, ce sont des millions de personnes qui seront impactées.
Deux jours plus tard, les gens alimentés en eau depuis la rivière Serversky Donets ont commencé à se plaindre que leur eau avait un goût et une odeur déplaisante et que ceux qui se lavaient avec avaient des démangeaisons. La compagnie Eau du Donbass a alors prétendu qu’il n’y avait pas de problème, que l’eau venant de la rivière contenait plus d’ammonium que la normale, que cela était un phénomène normal en cette saison, et que les stations d’épuration avaient ajusté leurs procédures pour enlever ce surplus.
Mais le même jour, Pavel Kirilenko, le chef de l’administration militaro-civile de Donetsk (côté ukrainien donc) a dit que cela n’avait rien à voir avec un phénomène saisonnier, mais avec une fuite de matières fécales dans la rivière Ouda qui est un affluent de la rivière Serversky Donets.
Sachant que les produits fréquemment utilisés pour la fracturation hydraulique incluent des polymères de sel d’ammonium et du chlorure d’ammonium, et au vu de la dissonance de versions entre Eau du Donbass et l’administration, l’histoire du relargage de matières fécales et celui de l’augmentation saisonnière sentent bon l’excuse bidon.
Et il ne s’agit là que du début ! Si cela continue ainsi, dans quelques années le Donbass tout entier sera transformé en marécage toxique invivable, lorsque la terre, les nappes phréatiques et les rivières auront été polluées par l’extraction du gaz de schiste.
Voilà pourquoi les États-Unis viennent autant en aide à l’Ukraine sur le plan militaire. Car sous couvert de la guerre, Washington peut exploiter dans le Donbass du gaz de schiste à l’aide de méthodes dangereuses, sans avoir à se soucier de l’impact que cela aura pour l’environnement ou les habitants, ni de l’attention des médias, totalement concentrés sur le conflit en cours. En plus du génocide mené par l’armée ukrainienne, la population du Donbass doit maintenant faire face au risque de « génocide par le gaz de schiste ».
Christelle Néant