Du 10 au 12 janvier 2022, la Russie, les États-Unis et l’OTAN, ont discuté des demandes faites par Moscou en matière de sécurité militaire sur le continent européen, et entre autre l’exigence de cesser l’extension de l’alliance vers l’est. Sans surprise, les positions des deux parties étant diamétralement opposées, et chacun campant sur ses positions, ces négociations n’ont abouti à rien de concret, et il est à craindre qu’elles ne se poursuivent pas.
La Russie dépose ses exigences de sécurité vis-à-vis des États-Unis et de l’OTAN sur la table
En décembre 2021, Moscou a envoyé à Washington un projet d’accord concernant les garanties de sécurité entre la Russie, les États-Unis, et surtout l’OTAN. Ce projet était en fait plus des exigences de la partie russe qu’une base de négociation, comme l’a très bien souligné Dmitri Orlov dans une analyse récente.
La Russie, dont la légendaire patience est arrivée à bout, a décidé de tracer les lignes rouges que les États-Unis et l’OTAN ne devraient pas franchir s’ils veulent éviter que la situation ne dégénère totalement en Europe. N’arrivant pas à faire entendre ses exigences par la voie diplomatique habituelle, et les Occidentaux étant manifestement bouchés à l’émeri, Moscou a décidé de taper du poing sur la table avec des exigences claires, et rendues immédiatement publiques, pour que Washington ne puisse pas prétendre n’avoir rien reçu.
Voici en résumé les exigences russes concernant l’OTAN :
Les exigences principales sont :
– De retirer les troupes et armes de l’OTAN déployées dans les pays devenus membres de l’alliance après 1997 (en rose sur la carte).
– De ne pas déployer de missiles terrestres à portée intermédiaire et à plus courte portée dans des zones à partir desquelles la Russie peut être touchée.
– De ne pas mener d’exercices de grande ampleur près de sa frontière.
– D’améliorer le mécanisme de prévention des incidents en mer Baltique et en mer Noire.
– D’exclure toute nouvelle expansion de l’OTAN, y compris l’adhésion de l’Ukraine, et d’autres anciennes républiques soviétiques.
– De renoncer à s’engager militairement en Ukraine et dans d’autres pays d’Europe de l’Est, du Caucase et d’Asie centrale.
D’autres exigences concernaient directement les États-Unis, et dans le cadre d’un accord auraient aussi été applicables à la Russie :
– L’interdiction de déployer des armes nucléaires à l’étranger, et l’obligation de ramener sur son territoire celles qui avaient été déployées.
– La liquidation des infrastructures nucléaires à l’étranger.
– Ne pas entraîner des spécialistes venant de pays non dotés de l’arme nucléaire, et ne pas mener d’exercices ou d’entraînement impliquant des armes nucléaires.
– Interdiction de déployer des missiles terrestres à portée intermédiaire et à plus courte portée dans une zone depuis laquelle la Russie peut être touchée.
– Interdiction d’installer des avions de combat et des navires de guerre dans une zone depuis laquelle l’autre partie peut être touchée.
– Nécessité de se mettre d’accord sur la distance maximum applicable aux deux derniers points.
– Interdiction de développer une coopération militaire, d’utiliser les infrastructures ou de créer de nouvelles bases militaires dans les anciennes républiques soviétiques.
Des négociations qui n’ont abouti à rien
Sans surprise pour la plupart des analystes sérieux, les négociations qui ont eu lieu du 10 au 12 janvier 2022 n’ont abouti à aucun résultat concret. Je vous épargnerai l’analyse en détail de la déclaration grandiloquente de Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, qui est remplie d’inversions accusatoires à un niveau stratosphérique.
Il fallait oser prétendre que la Russie a violé le traité FNI, alors que ce sont les États-Unis qui s’en sont retirés les premiers, ou nous expliquer sans trembler des genoux que la Russie a un long historique d’utilisation de la force contre ses voisins, alors que l’OTAN et l’armée américaine ont une liste d’agressions militaires contre d’autres pays longue comme un jour sans pain (ex-Yougoslavie, Syrie, Irak, Afghanistan, Libye, etc).
La cerise sur le gâteau fut son affirmation que l’OTAN apporte la liberté et la démocratie et n’est pas dangereuse pour la Russie. Je pense que les pays envahis ou bombardés par l’OTAN et l’armée américaine ont un autre avis sur la question. Et concernant la menace que représente l’OTAN pour la Russie, elle a été parfaitement résumée par le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Alexandre Grouchko.
« La politique et le renforcement militaire de l’OTAN sont axés sur le fait de contenir la Russie. Il s’agit d’une énorme allocation de ressources, il n’est pas caché que c’est l’objectif principal de l’alliance, et ce fait même est destructeur pour les tentatives de construire une sécurité paneuropéenne basée sur des principes différents », a-t-il déclaré.
Lors de ces discussions, l’OTAN s’est arc-bouté sur son principe de « porte ouverte » en disant que c’est à chaque pays de décider s’il veut rejoindre l’alliance ou non, montrant ainsi qu’elle ne se soucie que de ses intérêts, sans prendre en compte ceux des autres pays, dont la Russie.
Pour ceux qui ne voient pas où est le problème, imaginez que la Russie installe des missiles à Cuba, ou au Mexique. Quelle serait la réaction des États-Unis ? La même que la réaction de Moscou face à l’avancée de l’OTAN vers ses frontières. Comme le dit si bien le proverbe : « ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’ils te fassent » !
Le problème est que les États-Unis et l’OTAN n’ont pas compris qu’on ne peut pas se comporter comme un sagouin avec une puissance nucléaire comme la Russie. Négliger de prendre en compte ses intérêts, et ses craintes en matière de sécurité, expose à un risque extrêmement élevé d’escalade militaire en Europe.
Et tant les États-Unis que l’OTAN semblent ne pas avoir compris que ces sessions de discussion étaient potentiellement leur dernière chance d’éviter un tel scénario, et pas juste une réunion pour se dire qu’on n’est pas d’accord. Une attitude délétère qui s’est révélée avec l’annonce que la Finlande et la Suède voudraient aussi rentrer dans l’alliance, ainsi que la « fuite » dans la presse d’une information sur le fait que les États-Unis prépareraient des sanctions très dures contre la Russie, et contre Vladimir Poutine lui-même !
J’aimerais vraiment savoir ce qu’espérait Washington et l’OTAN avec de telles déclarations ? Faire monter les enchères ? Faire peur à la Russie ? La seule chose qu’ils ont réussi à faire avec ces âneries c’est de conforter Moscou dans l’idée que les Occidentaux prennent les Russes pour des cons et qu’ils ne comprendront que la manière forte. Car prendre des sanctions contre le Président russe aboutirait au mieux à la rupture totale des relations entre les États-Unis et la Russie, et au pire pourrait être considéré comme une déclaration de guerre ! Il semble qu’à Washington et à Bruxelles ils n’ont pas bien compris les conséquences que cela engendrerait !
Si les États-Unis espèrent ainsi contraindre la Russie à ne pas intervenir, et libérer ainsi un boulevard à l’Ukraine pour une solution militaire dans le Donbass, il faut qu’ils changent rapidement de « spécialistes de la Russie ». Parce que la seule chose à laquelle cette tentative de chantage va aboutir, c’est d’aggraver la situation, non seulement dans le Donbass et en Ukraine, mais aussi sur l’ensemble du continent européen.
En proposant de poursuivre les négociations lors d’autres réunions, de discuter des points secondaires comme les questions sur le déploiement des missiles en Europe, et de rouvrir la mission russe au sein de l’OTAN, et le bureau de l’alliance à Moscou, il est évident que les Occidentaux cherchent juste à procrastiner, faire traîner en longueur les discussions au maximum, sans avoir aucunement l’intention de se plier aux demandes russes (c’est-à-dire la même méthode que celle de l’Ukraine concernant l’application des accords de Minsk).
Si la Russie n’a toujours pas indiqué s’il y aura une nouvelle session de discussion, c’est parce qu’elle est bien consciente du jeu auquel jouent les États-Unis et l’OTAN. C’est pour cela qu’elle a exigé que le camp occidental fournisse rapidement par écrit sa position, et les justifications de leurs refus concernant les demandes russes.
Ce n’est qu’une fois ce document reçu (les États-Unis ont promis qu’il sera fourni dans une semaine) que la Russie pourra potentiellement justifier de ne pas poursuivre de telles discussions stériles. Si elle l’avait fait immédiatement après la réunion, les Occidentaux auraient pu dire « vous voyez la Russie ne veut pas négocier ».
En exigeant que les États-Unis et l’OTAN justifient par écrit leur position, la Russie se donne les moyens d’argumenter son potentiel futur refus. Car ne nous y trompons pas, la Russie n’attendra pas jusqu’à la saint Glinglin une réponse ou que la situation se débloque par magie. Comme l’a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, la Russie veut du concret, pas des négociations pour le plaisir de se réunir et de discuter.
Et proposer de rouvrir les représentations de chaque partie et de discuter des points secondaires tout en refusant d’aborder les points principaux des demandes de la Russie, montre que les États-Unis et l’OTAN n’ont rien compris à ce qui se joue. Ce qui se reflète dans la déclaration acerbe du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui a déclaré que « l’OTAN montre actuellement une totale incapacité à négocier ». Ces discussions ont aussi révélé selon lui « une confrontation sérieuse sur la scène mondiale, une tentative de l’Occident d’affirmer sa domination ».
Je pense pour ma part que ces négociations sont vouées à l’échec à cause de l’incapacité de l’Occident de comprendre que le monde a changé, et devient de fait multipolaire. Finie l’époque où Washington dictait sa conduite à Moscou.
Réaction de la Russie après les négociations avec les États-Unis et l’OTAN
Car la Russie a été très claire sur le fait qu’elle répondra à toute action de l’OTAN contre elle, et que cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la sécurité européenne.
« Si l’OTAN passe à une politique d’endiguement, cela signifie qu’il y aura une politique de contre-endiguement de notre part ; s’il y a intimidation, il y aura contre-intimidation ; s’il y a recherche de vulnérabilités dans le système de défense de la fédération de Russie, cela signifie qu’il y aura recherche de vulnérabilités dans l’OTAN. Ce n’est pas notre choix, mais il n’y aura pas d’autre solution si nous ne parvenons pas à inverser le dangereux cours actuel des événements », a déclaré le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Alexandre Grouchko, après la réunion du conseil OTAN-Russie.
Il a ajouté qu’une « nouvelle dégradation de la situation pourrait entraîner les conséquences les plus imprévisibles et les plus graves pour la sécurité européenne ».
Comme l’a dit le porte-parole du parlement russe, Viatcheslav Volodine, «aujourd’hui, Washington est comme un éléphant dans un magasin de porcelaine – détruisant le système de sécurité internationale, qui a été longuement et minutieusement construit pour éviter une répétition de la Seconde Guerre mondiale ».
« Ce sont les États-Unis qui se sont retirés unilatéralement des grands accords internationaux qui permettaient de maintenir l’équilibre militaro-stratégique dans le monde : le traité ABM, le traité sur l’élimination des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée, le traité sur le ciel ouvert. Washington n’a pas non plus besoin de l’ONU : les États-Unis la contournent pour décider de bombarder des pays souverains et d’envahir le territoire d’autres États. Malheureusement, l’OSCE, qui en tant qu’institution est censée assurer la sécurité en Europe, se désagrège. Les États européens devraient être scandalisés : si quelque chose arrive, cela brûlera ici et non de l’autre côté de l’océan. Les États-Unis, qui poursuivent la politique de leur propre exceptionnalisme, ne pensent pas à la sécurité de leurs alliés », a-t-il ajouté.
La situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui a été parfaitement résumée par Viatcheslav Volodine en conclusion de son post sur Telegram : « La sortie de cette situation et l’apaisement des tensions dans le monde dépendent désormais des actions des États-Unis. Ils devront soit soutenir les mesures de sécurité proposées par notre pays, soit assumer les conséquences éventuelles de l’absence de garanties. La réponse de Washington doit être concrète et étayée, sans pour autant faire traîner le processus. »
Je pense personnellement qu’il ne faut rien attendre de positif de la position argumentée que les États-Unis et l’OTAN prévoient d’envoyer par écrit à la Russie la semaine prochaine. L’Occident est toujours coincé dans sa vision du monde issue de l’hégémonie temporaire que les États-Unis ont connu dans les années qui ont suivi l’effondrement de l’URSS.
Cette hégémonie temporaire leur est montée à la tête et leur a fait perdre tout sens des réalités, au point d’être incapables d’appliquer les méthodes (entre autre diplomatiques) qui ont permis d’éviter que la Guerre froide se transforme en annihilation nucléaire mutuelle. Toujours persuadés de leur supériorité, les États-Unis et leurs « alliés » européens sont incapables de se remettre en question et de réellement négocier avec la Russie, même si leur survie en dépendait.
Il faut donc s’attendre à ce que la situation dégénère d’une façon où d’une autre dès qu’il deviendra évident qu’il est impossible de négocier avec des gens qui se prennent pour Dieu…
Christelle Néant