Si vous vivez en temps de guerre, d’une manière ou d’une autre, vous suivez les événements des deux côtés de la ligne de démarcation. Et de plus en plus vous vous posez des questions essentielles : où commence la division, le démembrement des esprits ? Le non respect des lois ? Avec la haine de l’opinion des autres ? Au son des cris ? A la lueur de ces réflexions le Donbass a peut-être donné un exemple, mais doit-on dire merci aux habitants de cette contrée ? Et si oui, songeons que la guerre a commencé bien avant 2014.
En 2014, justement, je n’avais que 5 ans. Il ne suffit pas d’expliquer les choses, de raconter intelligemment les chemins pris par l’Humanité. Bien que… c’est probablement plus facile pour les enfants de le faire. Maintenant je me souviens, avec un petit sourire, comment à l’époque j’avais demandé dans un magasin à acheter des bonbons, mais seulement ceux qui étaient « corrects »… et non pas ceux de Roshen, la marque du « Roi du chocolat », oligarque et millionnaire alors Président de l’Ukraine. Récemment, en essayant de comprendre quand et pourquoi nous sommes devenus des gens de seconde zone, de seconde classe, je me suis plongée dans les méandres d’Internet, ou l’on peut retrouver tous les faits, jusqu’aux plus sauvages et terribles. Heureusement, il se souvient de tout, contrairement à moi ! Et tout a commencé bien avant le Maïdan, qui a finalement partagé le pays, en un monde d’avant, et celui d’après.
Depuis lors, nous avons vu les insultes de nos ennemis, et la rhétorique que j’ai dénoncée dès le début, à travers les images télévisées. Et ceci jusque dans les manuels scolaires dont la tâche principale semblait être de nous convaincre que nous n’étions personne. Quand mon frère est entré en 1ère année à l’école, il a reçu de nouveaux manuels, dans toutes les matières. C’était alors encore le temps de l’Ukraine, et c’était un tout nouveau programme à cette époque. Cela pourrait paraître futile, mais le diable se cachait dans des détails. Je ne me souviens pas dans quelle matière, mais dans l’un des manuels il y avait une carte de l’Ukraine. Sur cette carte, Lougansk n’était pas même signalé comme l’un des centres régionaux, une capitale de région. Ce n’était qu’une ligne de pointillé faisant allusion aux frontières d’une région anonyme et inconnue. Vraiment, comme une steppe sans nom, barbare et sauvage.
Mais ce qui était encore plus intéressant, ou absurde, c’est que sur cette carte, des personnages en costumes nationaux étaient dessinés, avec des costumes du milieu du XIXe siècle environ. Les élèves pouvaient voir les costumes nationaux et régionaux de l’Ukraine occidentale, centrale, méridionale et septentrionale… Mais l’Est du pays, c’était le vide sidéral, une zone perdue et ignorée. Les auteurs du manuel n’auraient-ils jamais atteint et visité les musées d’histoire de Lougansk ou de Donetsk ? Étaient-ils trop occupés ? Je me souviens que quand ma mère a vu cette « beauté », elle était en colère et indignée. C’était drôle. Mais le lendemain, elle est allée à la librairie et par principe, elle a acheté à mon frère plusieurs livres sur l’histoire du Donbass.
Je pense que si vous cherchez, si vous vous rappelez, vous pouvez trouver encore beaucoup plus détails, de ces petites choses insignifiantes, des détails qui ont pour résultat l’anarchie, l’indifférence vis-à-vis de la mort et de la guerre. Mais un jour, à la fin des fins, toutes les guerres se terminent et il y a alors besoin d’un compromis. C’est là que se pose une question encore plus urgente et effrayante : est-ce que les gens en Ukraine peuvent changer ? Peuvent-ils accepter la réalité cruelle, telle qu’elle est ? La destruction du pays ce n’est pas en réalité la faute de la Russie ou des Etats-Unis, mais bien l’Ukraine elle-même qui est à blâmer. Le peuple ukrainien peut-il changer ? Oui il le peut. Mais alors ce sera une histoire déjà complètement différente et bien sûr dans une Ukraine profondément et radicalement changée.
Faina Savenkova