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Rencontre avec des prisonniers ukrainiens passés dans les rangs de la Russie

Rencontre avec des prisonniers ukrainiens passés dans les rangs de la Russie
Photo : Mirjam

J’ai eu la chance avec d’autres journalistes étrangers de rencontrer à Lougansk, 6 prisonniers ukrainiens qui ont pris la décision de rallier les rangs russes. En Occident et en Ukraine, les médias ne parlent pas ou très peu de ces « Ukrainiens » qui sont passés du côté russe pour des raisons évidentes, car ce narratif ne colle évidemment pas avec la propagande qu’ils diffusent. Les Russes avaient annoncé former plusieurs unités de prisonniers ukrainiens, mais les hommes que nous avons rencontrés servent dans l’armée de la République de Lougansk. Ils sont donc beaucoup plus nombreux encore que ce que l’on pourrait penser. Rappelons également que la Russie avait annoncé que la mobilisation n’était pas active dans les territoires libérés, c’est donc librement qu’ils firent ce choix de changer de camp. La propagande occidentale par contre a beaucoup écrit sur des unités de transfuges russes qui se sont révélées être des pétards mouillés. Que l’on parle de la Légion Russie Liberté, du RDK, du bataillon Sibérie ou Touran, les effectifs ne dépassent pas en fait une poignée d’hommes, qui parfois ne forment pas plus d’une section ou compagnie. Du côté des ralliés dans l’armée russe, l’oubli intentionnel des journalistes occidentaux c’est avant tout la population nombreuse de Russes ethniques qui sont officiellement qualifiés « d’Ukrainiens ». Ce sont eux bien sûr qui nombreux sont passés dans les rangs de l’armée russe. L’Occident préfère nier et ignorer leur existence, comme en 1941, ils ne sont que des « sous-hommes ».

Les Russes ethniques d’Ukraine peu motivés pour mourir pour « la Grande Ukraine ». Interrogés les 6 hommes sont âgés de 22/23 ans à 51 ans pour le plus vieux. Ce dernier était originaire de Donetsk, un autre d’Izioum dans l’oblast de Kharkov, les 4 autres tous de l’ancien oblast de Lougansk, dont l’un de Kremeniya. De fait tous étaient des Russes ethniques et de langue maternelle russe, et nous avons compris qu’ils avaient accepté de parler devant les caméras car leurs familles étaient à l’abri des répressions ukrainiennes notamment de la terrible police politique du SBU. Le premier de Donetsk était un militaire de carrière, grade d’adjudant-chef ayant fait un long parcours dans les rangs de l’armée soviétique et ukrainienne. Il servait dernièrement dans une unité du génie, qui se trouvait en garnison à Marioupol, où il fut fait prisonnier. Interrogé sur la raison pour laquelle il n’avait pas choisi l’insurrection républicaine en 2014, il affirma être un soldat, avoir sa famille essentiellement dans les zones contrôlées par l’Ukraine à cette époque, et ne s’être pas trop posé de questions. Il commença seulement à réfléchir lorsqu’il assista durant le siège, à l’assassinat de civils à Marioupol par l’armée ukrainienne. La ville en effet était et est peuplée massivement de Russes ethniques. Dans l’ambiance d’une prochaine capitulation à venir, les Ukrainiens assassinèrent nombre de civils qu’ils savaient tous Russes, dans un esprit de vengeance et de haine. Après avoir été conduit dans la prison où se trouvait beaucoup de soldats d’Azov, il était présent dans la prison lorsqu’elle fut bombardée par les Ukrainiens (juillet 2022). C’est à cette date qu’il décida de changer de camp. Un autre des soldats du groupe, fut également emprisonné dans ce lieu, et fut choqué par cette annonce (il venait d’être changé de lieu de détention), comprenant bien que l’Ukraine n’avait aucun respect pour eux, et encore moins pour leurs vies ou celles des populations russes ethniques (dont il était issu).

On nous insultait en permanence dans les rangs ukrainiens. Un autre témoignage intéressant a été celui d’un des hommes, âgé de la trentaine. Il s’était enrôlé sous contrat dans l’armée ukrainienne en 2018. Sans travail, ni études supérieures, l’armée était alors pour lui une opportunité. Il fut lui aussi envoyé dans la garnison de Marioupol et nous raconta qu’il avait été en formation dans un polygone avec des soldats d’Azov (2018-2019). Selon lui, tous les matins, ces hommes rendaient hommage à Hitler et Bandera, et toute la sainte journée des chants nazis retentissaient dans leur baraquement. Les saluts nazis et bandéristes étaient la norme. Il fut rapidement dans le regret d’avoir signé ce contrat et attendait de trouver une porte de sortie, lorsque l’opération spéciale commença (24 février 2022). Selon ses dires et ceux d’un autre soldat du groupe, les insultes étaient quasi quotidiennes à leur égard, les Ukrainiens sachant très bien d’où ils venaient. Malgré qu’ils soient leurs « camarades » de régiment, ils restaient pour eux des Russes, et la troupe, les sous-officiers et même le chef de corps ne se gênaient pas pour les humilier et leur rappeler leurs origines. C’est au tout début du siège, que lui et deux autres camarades, ayant vu aussi des soldats ukrainiens tirer sur des civils de Marioupol, se décidèrent à se rendre pour ne pas participer au massacre ou finir en chair à canon. Un quatrième homme était un garde-frontière originaire de la région de Lougansk. Il se trouvait sur un poste frontière entre l’Ukraine et la Russie, et il se rendit immédiatement sans combattre dès que les Russes se présentèrent. Interrogé sur cette décision, il déclara que toute sa famille était de la région, et qu’il se voyait mal tirer sur les Russes… ou sa propre famille. Les deux derniers étaient les plus jeunes, ils n’avaient pas plus de 12/13 ans au moment du Maïdan en 2014. Ils furent mobilisés dans l’année 2022, comme beaucoup de jeunes hommes au moment de l’opération spéciale. Tous les deux décidèrent de se rendre rapidement, l’un ayant sa famille à Kremeniya, l’autre dans les abords de Lougansk. Ils étaient hors de question pour eux de se faire tuer en combattant leurs parents et leurs origines.

Il n’y a pas d’avenir pour nous sans la Russie. Les 6 hommes poursuivirent en expliquant n’avoir jamais rencontré de mercenaires étrangers sur les zones du front où ils se trouvaient. Le militaire de carrière raconta cependant qu’il avait vu des humanitaires étrangers, dont un Danois, dans les blessés au moment du siège de Marioupol. Les deux étrangers se plaignaient amèrement d’avoir pris cette décision de venir en Ukraine, même s’ils n’étaient pas des combattants, et avaient assisté eux aussi à l’assassinat de civils par les Ukrainiens. Les mobilisés du groupe ont affirmé n’avoir pas été envoyés à l’entraînement à l’étranger, ou même vu des instructeurs étrangers. Questionnés sur les événements du Maïdan ou le massacre d’Odessa, la plupart savaient de quoi ils retournaient, mais il était difficile pour eux de comprendre où se trouvait la propagande, les mensonges ou la vérité. Tous avaient décidé de s’enrôler en réaction à ce qu’ils avaient vu dans les rangs ukrainiens, et comprenant aussi qu’il s’agissait de leur avenir et surtout celui de leurs familles. Je compris également que beaucoup d’autres de leurs camarades avaient fait le même choix qu’eux, mais que beaucoup ne pouvaient prendre la parole sans mettre en danger leurs familles, se trouvant en Ukraine ou même réfugiés en Occident. Tous étaient venus librement à notre rencontre et aucun ne voyait l’avenir… hors du giron russe. En France, à la fin de l’année 2022, un plateau de journalistes et « experts » de circonstances se déshonorèrent en commentant la manière dont il faudrait liquider ces populations russes en Crimée ou dans le Donbass : en les déportant. Ces 6 hommes assurément n’avaient pas envie de voir leurs familles dans des wagons à bestiaux. On devrait se souvenir en France que les résistants FFI, FTP ou Français Libres se firent tuer pour que cela n’arrive plus jamais.

Laurent Brayard

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