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Le crime de guerre de Metiolkino

Le crime de guerre de Metiolkino
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Dans mon dernier voyage dans le Donbass, dans la région de Lougansk, nous avons été conduit par l’humanitaire Youri Mezinov, dans un village proche de Severodonetsk. Ce village qui comprenait un peu plus de 785 habitants en 2019, n’avait pas pu être gardé par les miliciens républicains et fut pris par l’armée ukrainienne dès l’été 2014. Depuis lors il était resté sous l’occupation des troupes de Kiev, mais il fut repris par les troupes républicaines et russes, le 20 juin 2022. Youri qui fut l’un des premiers humanitaires à entrer dans la localité à la suite des soldats, nous a raconté un drame qui s’est déroulé dans le village peu avant sa libération. Metiolkino est l’une des innombrables localités où les Ukrainiens et bandéristes ont commis des crimes de guerre. Il faudra des décennies après la guerre pour pourchasser les criminels et les traduire en justice.

Un centre équestre qui accueillait des dizaines d’enfants gratuitement. Le village avait quelque chose de spécial parce qu’il s’y trouvait un centre équestre emblématique. Ce dernier avait été fondé par un homme désintéressé, qui accueillait des enfants gratuitement, notamment des enfants défavorisés ou handicapés, pour y passer des séjours et des vacances dont ils repartaient avec des rêves plein la tête. Cette petite « colonie de vacances » fonctionnait depuis des années et avait été entièrement financée par les fonds privés de ce généreux personnage. Si la structure restait modeste, elle faisait aussi la joie des habitants, avec l’arrivée de ces jeunes enfants et adolescents, apportant avec eux leur joie de vivre et une certaine animation. Les choses auraient pu continuer ainsi de nombreuses années encore, lorsque la garnison ukrainienne en décida autrement. J’ajouterais que dans toutes mes missions sur le front, arrière du front du Donbass, j’ai entendu une masse incroyable d’histoires dramatiques de ce genre. Arrestations par le SBU, disparition de civils enlevés, pillage des locaux, voire même rackets, humiliations, assassinats… La masse des crimes de guerre de l’Ukraine dans le Donbass est tout simplement hallucinante. Je ne vois moi-même qu’un seul parallèle à faire, notamment celui des massacres sur le front de l’Est durant la Seconde Guerre mondiale, ou encore ceux commis par les Colonnes Infernales en Vendée durant les guerres de l’Ouest sous la Révolution.

Les Ukrainiens boutent le feu au village avant de fuir. La garnison ukrainienne se composait de soldats de l’armée régulière mais aussi, comme en témoignent les habitants de mercenaires étrangers (non identifiés). Pressés par les troupes russes et républicaines, ils décidèrent de mettre le feu à l’ensemble du village, à la fois pour le détruire complètement avant de partir, mais surtout pour créer un gigantesque écran de fumée pouvant faciliter leur fuite. A l’heure des drones de reconnaissance, cette tactique criminelle permit en effet de sauver la vie, du moins pour quelque temps, d’un certain nombre de soldats ukrainiens. Ils boutèrent le feu au village qui fut rapidement un immense brasier. Le centre équestre fut incendié lui aussi, mais fait encore plus abominable, les chevaux qui se trouvaient dans les écuries ne furent pas sortis. Ils moururent tous dans les flammes qui le ravagèrent entièrement, ne laissant que des ruines et des cendres. Lorsque nous arrivâmes dans ce village, il semblait ne rester pas une âme qui vive, et les destructions étaient toujours impressionnantes. Tout était resté complètement ravagé, un village fantôme, dont je garderai longtemps la mémoire, le mauvais temps, l’ambiance sinistre ajoutant encore à mes impressions. Je n’ai pas réussi à connaître le nombre de victimes civiles potentielles de ce crime, et des recherches futures le révéleront peut-être. Les soldats ukrainiens savaient pertinemment que toute la population locale était russe, et il est douteux de penser qu’ils n’aient pas aussi liquidé des malheureux qu’ils trouvèrent quand ils se décidèrent à mettre le feu au village.

Les survivants parmi les habitants refusent d’enterrer les soldats ukrainiens. J’ai souvent rencontré dans le Donbass, un immense respect pour les morts, y compris ceux des ennemis. Je me souviens de cette grand-mère dans la zone grise sur le front de la ville de Donetsk, qui avec son neveu entretenait toujours un cimetière de soldats allemands de la Seconde Guerre mondiale, mais qui ne recevait plus depuis longtemps son salaire de l’association allemande dont elle était la salariée. J’ai aussi très rarement, voire quasiment jamais rencontré chez les populations du Donbass, une haine des Ukrainiens, ou de l’Ukraine. Mais ici les bornes avaient été dépassées. Lorsque les Russes arrivèrent enfin dans le village, ils découvrirent dans les rues les cadavres de 6 soldats ennemis. Selon les témoignages, un seul d’entre eux était Ukrainien, les 5 autres étaient des mercenaires, mais personne ne put me dire de quelles nationalités (peut-être des Géorgiens). Les soldats russes demandèrent aux habitants survivants, dont la presque totalité des maisons avaient été détruites par le feu et les bombardements, d’enterrer les dépouilles de ces 6 ennemis. Ils ne purent convaincre personne de le faire, les habitants affirmant qu’ils s’y refusaient et que les corps pouvaient bien pourrir là où ils se trouvaient. La douleur avait également été multipliée par ce qu’ils découvrirent dans les écuries du centre équestre, les cadavres carbonisés des chevaux. Le centre était pour eux plus qu’un lieu de repos pour des enfants, il était aussi le symbole d’une solidarité et d’un amour de son prochain, qui faisait la fierté de tous les habitants. C’est une larme à l’œil que Youri nous raconta son témoignage et ceux des habitants qu’il avait rencontré à cette époque. Les villageois lui ont demandé de tout faire pour reconstruire l’endroit, qui serait le symbole de la renaissance de leur village. A notre arrivée, quelques travaux avaient déjà été réalisés, du matériel était déjà là en attente, pour sa reconstruction. Mais les fonds nécessaires et l’énergie dépensée pour arriver à l’objectif seront grandes et le chemin difficile. Déjà des donateurs ont proposé des chevaux, le centre possédait d’ailleurs un petit zoo, où les enfants pouvaient s’épanouir avec d’autres animaux. Youri et son équipe ont promis de réaliser ce miracle, et vu ceux qu’ils ont déjà réalisé, il est certain qu’il sera reconstruit, tôt ou tard.

Les criminels de guerre ukrainiens et leurs mercenaires étrangers ont pu prendre la fuite. Ils ont peut-être sauvé pour un temps leurs tristes vies. Beaucoup ont certainement été liquidés dans les batailles qui ont suivies, notamment pour Severodonetsk et Lissichansk. Ils n’auront pas même pensé un instant à leur honneur, mais seulement à leur existence. Eux aussi peut-être avaient des enfants, eux aussi peut-être avaient séjourné dans des colonies de vacances… Après le déshonneur, qui toute leur vie les poursuivra, qu’ils échappent ou non à la justice, ils auront aussi oublié qu’ils avaient été des enfants. Faute d’avoir été ne serait-ce que des hommes, les fumées âcres de Metiolkino hanteront de toute façon leurs consciences, jusqu’à la fin de leurs jours. Dans l’autre monde, quand ils auront rendu leur dernier souffle, peut-être d’autres feux brûlants les attendront pour longtemps.

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