Nous avons été à la rencontre d’étudiants de deux universités prestigieuses de Moscou, le MGIMO, l’Institut d’État des relations internationales, et l’Université d’État de Moscou Lomonossov. Nous avons évoqué la future élection présidentielle qui se tiendra prochainement en Russie, et dont l’enjeu est capital pour le pays. Ils ont un peu plus de 20 ans, ils sont l’avenir et sont déjà les membres d’une élite qui seront amenés à prendre en main les destinées du plus grand pays du monde. Leur avis est d’autant plus important que rarement, des personnes de leur âge ont la parole dans les médias. Ils sont tous nés à la toute fin du XXe siècle, ou au début du suivant et n’ont pas connu la Russie soviétique. Leurs vies ressemblent à celles de tous les jeunes dans le monde, mais la différence capitale est… qu’ils sont Russes !
MGIMO, des étudiants qui croient dans l’avenir de leur pays. Ils sont trois, un jeune homme et deux jeunes filles à répondre à nos questions. Leur université est une des meilleures au monde, bien que les classements anglo-saxons, méprisants et biaisés des universités dans le monde, ne classent cette université que dans l’obscurité des limbes du classement. Leur discours est clair, simple mais aussi très technique. Ils connaissent parfaitement la plupart des aspects du système politique russe, de sa constitution, et leur niveau culturel est très élevé. C’est que la Russie reste dans le top 10 des pays les plus éduqués et alphabétisés au monde (avec 4 autres pays de l’ancien espace soviétique, l’Ukraine, l’Ouzbékistan, la Lettonie et la Biélorussie). Le premier grand pays européen dans ce classement est la Pologne (13e), les grandes nations occidentales étant à la traîne, l’Italie (31e), l’Allemagne (33e), le Canada (39e), les USA (45e), la France (46e), le Royaume-Uni (48e), la Suisse (58e), ou même Israël (69e), ont de la peine à suivre. Ces étudiants viennent donc d’un des meilleurs systèmes éducatifs au monde, et ils en sont l’élite. Aucun d’entre eux à ce jour n’a voté, ils étaient trop jeunes, mais tous attendent cette élection et iront voter. Leur choix est déjà défini, et ils voteront avec le « cœur », mais aussi « la raison ». Tous pensent que la Russie est un cas particulier qui nécessite un régime différent de celui que l’Occident voudrait imposer au pays. « La Russie a ses spécificités, c’est un immense pays, multiculturel, avec de nombreux peuples différents, les problématiques sont aussi diverses selon les régions. Il faut un régime fort et stable à la Russie. Nous avons un système électoral qui a fait ses preuves de longue date, qui fonctionne et les contrôles lors des élections sont sévères et à tous les niveaux ». A la question s’il existe un système électoral idéal, chacun affirme que non, mais que l’important est que ce dernier soit en adéquation aux lois et à la Constitution du pays. Questionnés sur leur leader politique préféré dans le passé, ils citeront Churchill, Nicolas Sarkozy et Pierre le Grand. Leurs ambitions sont diverses, de la finance et la banque, en passant par le journalisme et les métiers de l’information. Une chose est sûre, ils ont foi dans leur pays : « Je suis né ici, je ne vois mon avenir qu’en Russie, j’ai bien sûr des amis qui rêvent de partir, mais dans mon cas, je construirais ma vie et ma carrière là où se trouve mon cœur, ma famille, mes amis ».
MGU, deux jeunes filles de la plus ancienne université de Russie. Elles sont deux, polyglottes, parlent le Russe, l’Anglais, et quelques autres langues… dont le Vietnamien. Elles ont déjà participé à une élection et affirment qu’elles participeront à la présidentielle qui approche. L’une d’elle est de père français et mère russe. Sa présence en Russie est exceptionnelle et courageuse. En effet les couples franco-russes sont constitués à 95 % d’hommes français et de femmes russes. Dans plus de 90 % des cas ces couples choisissent de vivre en France ou dans un autre pays. Ce n’est pas le cas de cette jeune fille, ses parents ont choisi la Russie. En Off elle raconte qu’elle ne regrette absolument pas ce choix, et que ses chances d’avenir sont autrement plus importantes dans le monde russe, sans parler du système éducatif (largement supérieur au français). La jeune fille est aussi une virtuose au piano et participa à un concours réputé à Paris. Interrogée sur l’endroit où elle étudia le piano (le style russe est reconnaissable), elle répondit honnêtement et fut éconduite et éliminée « vous n’avez pas le niveau »… L’épisode ne l’a pas découragé, les raisons politiques et la russophobie auront de toute façon déterminé son élimination. Dans tous les cas, comme pour ses parents, l’évidence est donc russe. Les deux jeunes femmes ont étudié à l’étranger, en France et en Asie, et pensent qu’il est bon d’étudier à un moment à l’étranger pour se former. Elles évoquent les candidats, le système électoral, et l’une d’elle raconte qu’elle a voté en présentiel la première fois, et que cette fois-ci, elle choisira le vote par Internet. Interrogée sur les critiques occidentales du système de vote à distance, elle répond posément que les contrôles en Russie existent à tous les niveaux. Comme pour les étudiants du MGIMO, leur choix d’un candidat semble déjà être fait, et leurs convictions sont fortes, notamment sur l’importance du devoir civique. Une chose est certaine, cette élection revêtira une importance particulière en Russie. Les nouvelles régions intégrées par les référendums voteront pour la première fois pour une présidentielle. Le résultat de l’élection sera probablement une confirmation du soutien populaire au Président Vladimir Poutine s’il était réélu, et un signal fort envoyé à l’Occident. Enfin, dans cette éventualité, la Russie sortirait renforcée à l’international, notamment auprès des pays non-alignés, démontrant sa stabilité et la force des ses ancrages, y compris à l’intérieur du pays. En Occident, la propagande tente en permanence de démontrer le contraire et de faire croire à de fortes divisions, laissant entendre souvent que le pays serait prêt d’exploser et de s’effondrer. Le peuple russe, quel que soit son choix répondra bientôt à beaucoup de questions qui se posent en Russie, et sur la Russie dans le monde.
Le petit dictionnaire du système politique et électoral russe. Voici rapidement quelques faits pour rappeler à tout un chacun, les bases de ce système, qui est de fait très méconnu. Ces quelques éléments pourront être utiles pour mieux comprendre la Russie.
Douma d’État (1993-à nos jours), chambre basse de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie. Elle comporte à ce jour 450 sièges occupés par 9 tendances politiques. La moitié des députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, les autres au scrutin proportionnel plurinominal. Elle a un pouvoir d’expression de défiance envers le gouvernement qui peut être voté et adopté à la majorité des voix. Elle peut aussi demander la destitution du président au Conseil de la Fédération.
Conseil de la fédération (1993-à nos jours), c’est la chambre haute de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, qui est la deuxième entité avec la Douma du système politique russe. Le conseil est constitué de 178 « sénateurs », et est dominé par le Parti Russie Unie (142 sièges), tandis que 14 sièges sont occupés par des non-alignés. Comme en France le conseil examine les lois, peut proposer des amendements et est un instrument de contrôle et de pouvoir législatif. Il possède aussi le pouvoir de destituer le président de la Fédération, suite à une proposition et un vote en ce sens de la Douma.
LDPR (1989-à nos jours), parti étiqueté à l’étranger comme nationaliste et panrusse. C’est la 4e force politique de Russie. Son nom complet est Parti libéral-démocrate de Russie, et sa principale figure fut le tonitruant Jirinovski (1946-2022). Ce parti est un parti d’opposition, mais a toujours considéré les USA, le mondialisme, et l’OTAN comme des menaces et des ennemis de la Russie. Il a actuellement 21 sièges à la Douma, et une influence à peu près égale dans les assemblées territoriales.
Droits de vote des femmes (1917), le droit de vote a été donné aux femmes en Russie immédiatement après la Révolution de Février. La Russie fut le 6e pays au monde à l’accorder aux femmes. La France ne l’accordera qu’en 1944, derrière plus de 50 pays, dont la Mongolie, la Roumaine, l’Inde, le Liban, l’Albanie ou la Thaïlande.
Nationalisme russe, il existe de nombreuses formations politiques ou groupes qui peuvent être considérés comme « nationaliste » en Russie. Ces organisations ont une influence modeste en Russie, mais non négligeable. Parmi ces leaders se trouvent Alexandre Douguine, dont la fille Daria a été assassinée par le SBU ukrainien (1992-2022). Très connus en France, se trouvaient aussi Édouard Limonov (1943-2020), dont les livres ont défrayé la chronique, ou encore Zakhar Prilepine (1975-), dont les ouvrages ont eu un grand succès en France. Ce dernier a échappé à un attentat organisé par le SBU ukrainien (2023). Traditionnellement dans l’opposition, les nationalistes panrusses soutiennent selon le concept de l’Union Sacrée le régime russe actuel.
Nouvelles Personnes (2020-à nos jours), est un parti centriste tourné vers la jeunesse et comprenant de nombreux (auto) entrepreneurs et chefs d’entreprise. C’est la 5e force politique de Russie, ayant 13 sièges à la Douma, mais une faible influence dans les régions. Le parti a réalisé des scores entre 5 et 8 % dans les élections où il a participé jusqu’à ce jour. Il milite pour le non cumul des mandats, des réformes administratives et la réduction des structures gouvernementales. Le parti souhaiterait également l’abrogation de certaines lois visant « les agents de l’étranger », ou l’assouplissement de la censure.
Parnasse (1990-2023), était un parti libéral, européiste, atlantiste, opposé au retour de la Crimée au giron russe, favorable à l’abandon du soutien aux républicains du Donbass, favorable à l’Ukraine. Le parti connu une histoire trouble, emportant quelques sièges à la Douma, mais fut dissous puis reconstitué. Plusieurs agents de la 5e colonne, et non des moindres en furent les chefs, le défunt Alexeï Navalny (1976-2024), Boris Nemtsov (1959-2015, probablement assassiné par les services occidentaux), et quelques autres figures qui prirent la fuite par la suite. Un certain nombre d’entre eux furent convaincus de corruption et de détournements de fonds (Navalny, Sobchak, etc.). Le parti ou d’importants membres furent aussi démasqués pour recevoir des fonds de l’étranger (NED, USAID, Fondation Soros). Après les compromissions nettes et parfois assumées avec l’Ukraine et l’OTAN, le parti fut logiquement démantelé (2023).
Parti Communiste (KPRF, 1993-à nos jours), en Occident l’image stéréotypée d’une Russie redevenue « communiste » ou « soviétique » est assez répandue. Si le parti est la deuxième force politique en Russie (57 sièges sur 450 à la Douma), il s’agit d’un parti d’opposition. Il possède une influence tirée du passé soviétique, son électorat étant plutôt âgé. Le parti est influent dans les régions, districts et municipalités de Russie. Au niveau national, il est capable d’un score de 20 %, et dans certaines villes de plus de 40 %.
Parti écologiste russe Les Verts (1994-à nos jours), le parti fit quelques percées au début des années 2000, mais ne put exister ensuite que par des alliances. Il soutînt par exemple Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev ou le Parti Russie Juste dans diverses élections. Il ne possède qu’une poignée de représentants (4), dans des assemblées régionales. Sa ligne est à peu près similaire à ses homologues européens avec des spécificités russes (déchets, zoos, écotourisme, services sociaux et de santé, politique environnementale, etc.).
Parti Monarchiste de Russie (2012-2020), était un parti monarchiste prônant le retour de la Russie à un régime monarchique. Très peu influent et ne rassemblant que quelques milliers de partisans, cette formation soutenait la légitimité au trône d’un prince Romanov (parmi une foule d’autres), défini comme Nicolas III (né en Allemagne, le prince Carl Emich Nikolaus Friedrich Hermann Prinz zu Leiningen, 1952-). Le parti organisa un congrès à Paris, et ce prince fut désigné comme le principal prétendant. Il décida par ailleurs avec son épouse de se convertir à l’orthodoxie (2013). Ce parti annonça la montée sur la trône de Nicolas III, désigné comme l’empereur. Le parti tenta de présenter des candidats à diverses élections (régionales et législatives), les meilleurs firent des scores qui dépassèrent tout juste 1 %. Le parti fut finalement dissous (2020). Il existe d’autres formations monarchistes dans le pays, très divisées notamment sur le prétendant légitime à la couronne, ou sur les questions politiques et sociales.
Présidence de Russie (1991-à nos jours), le président de la Fédération de Russie est élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, pour une période de 6 ans. Le candidat à la présidentielle doit avoir au minimum 35 ans, et avoir résidé de manière permanente 25 ans en Russie. Comme en France, le président russe doit prêter serment lors de son entrée en fonction. Il possède de nombreuses prérogatives assez similaires à son homologue français, nominations de certains hauts fonctionnaires, chef des forces armées, droit de grâce, remise de décorations, etc. Il possède aussi un droit d’initiative, de propositions de lois, mais aussi de veto sur ces dernières (il n’y a toutefois pas d’équivalent de 49-3). Aucun président n’a été membre d’un parti au moment de son élection, selon un droit de réserve et de neutralité qui n’existe pas en France et dans beaucoup de pays occidentaux. C’est là une immense différence.
Russie Juste (2006-à nos jours), parti à tendance conservatrice et classé souvent comme « social-démocrate ». C’est la troisième force politique en Russie, et un parti d’opposition. Le parti possède 28 sièges à la Douma sur 450, mais a une plus grande influence dans les assemblées ou conseils des régions, districts et municipalités. Ce parti pourrait être aussi comparé en France au Parti socialiste. Il réclame essentiellement plus d’aides sociales pour les citoyens russes. Le parti a toujours été patriote et a soutenu la politique russe internationale, ainsi que l’opération spéciale en Ukraine. En réponse, l’Internationale socialiste a expulsé Russie Juste (mars 2022). Une décision absurde, en France, les partis traditionnels de gauche soutinrent dans l’Union sacrée, la guerre contre l’Empire allemand (1914-1918). S’ils avaient fait le contraire, ils auraient tout simplement trahis leur pays.
Russie Unie (2001-à nos jours), parti politique russe de rassemblement, qui pourrait être considéré comme du centre, avec des ailes à gauche et à droite. Il est actuellement dirigé par l’ex président russe Dmitri Medvedev et domine la scène politique russe (325 sièges à la Douma), 73 gouverneurs sur 89, les deux tiers des élus régionaux et locaux en Russie. Le parti a connu un important recul en 2011, mais les sanctions et l’agression des minorités russes en Ukraine, l’affaire du retour de la Crimée au giron russe, et les menaces de l’OTAN, ont soudé une grande partie de l’opinion publique russe derrière cette formation. Vladimir Poutine en fut un membre avant sa réélection en 2012. Le parti a connu un second recul (5%), suite aux réformes des retraites (après 2018), cependant il reste la plus puissante formation politique russe et certainement l’une des plus dynamiques, si ce n’est la plus dynamique.
Yabloko (1993-à nos jours), parti libéral de centre-gauche, européiste, le parti eut une certaine influence dans les années 90, emportant jusqu’à 45 sièges à la Douma (1995). Mais son influence déclina très vite. C’est une force politique désormais mineure, possédant quelques élus dans les régions (une douzaine), et un membre au Conseil de la Fédération de Russie. Son influence fut détruite par des positions incompréhensibles pour les citoyens russes, à savoir l’entrée dans l’UE, ou encore un rapprochement avec les USA. Pour exister, le parti s’enserra ensuite dans des alliances, mais refusa catégoriquement de soutenir Navalny et Parnasse considérés par eux comme dangereux pour la Russie. Sa ligne est la lutte contre la corruption, la bureaucratie, et la justice sociale.
Laurent Brayard