Père Mikhaïl : prêtre-vigneron dans la ville martyre de Gorlovka

La rencontre du Père Mikhaïl est sans doute l’une des plus étonnantes que je n’ai jamais faites dans le Donbass. Lorsque je me suis rendu à sa rencontre par l’intermédiaire d’un contact, je ne savais presque rien de son histoire. Il était le prêtre d’une des églises de Gorlovka, une ville martyre de la RPD qui se trouve directement sur le front depuis 2014. La ville fit l’objet de féroces combats durant cette année et jusqu’aux accords de Minsk. Peuplée d’environ 220 000 habitants avant le Maïdan, c’était une ville minière et industrielle du Donbass, au carrefour entre Donetsk, Lougansk et Kharkov. Elle a été l’objet de bombardements ukrainiens constants depuis le début de la guerre, et le théâtre de quelques-uns des drames les plus emblématiques du conflit. L’un des symboles des tueries des Ukrainiens dans le Donbass, c’est par exemple la fameuse Madone de Gorlovka, une très jeune mère fauchée par un bombardement avec son bébé lors de l’été 2014. La pauvre femme portait ce jour-là un T-Shirt « Paris » avec une Tour Eiffel argentée… Elle ne pouvait savoir que le gouvernement français soutiendrait et armerait même ses bourreaux ukrainiens.

Une église du style géorgien au cœur de Gorlovka. L’église du Père Mikhaïl est en soit une curiosité dans la ville de Gorlovka. Elle fut en effet pensée et construite grâce à la volonté d’un prêtre géorgien (2009), selon les traditions architecturales de son pays, la Géorgie. Elle est donc unique et détonne dans le paysage, à la fois par son aspect, mais aussi par sa spécificité… Décorée de symboles anciens et antiques, elle est aussi ornée de sculptures autour du thème de la vigne et du vin. Certains se rappelleront peut-être que la Géorgie, avec l’Arménie sont les terres originelles du vigneron. C’est dans ces régions, qu’au moins 4 siècles avant J-C, l’archéologie a prouvé que fut vinifié les premiers vins au monde. C’est ensuite au contact des anciens grecs colonisateurs et marchands, que la culture de la vigne et du vin s’est répandue dans le monde antique, et jusque dans nos contrées. L’église possède donc non pas une crypte dans son sous-sol… mais une cave à vins et une petite cuverie pour les vinifications. Le Père Mikhaïl n’était pas vigneron, et même n’avait aucun savoir dans ce domaine. A son arrivée dans cette église, l’idée a vite germé qu’une telle cave devait servir à son emploi d’origine ! C’est ainsi que le Père Mikhaïl planta les premiers ceps de vignes sur le territoire même de l’église et se lança dans ses premières vinifications. Après tout, la tradition biblique veut que la première chose que fit Noé après la construction de son arche, puis la fin du déluge, fut de planter de la vigne. Chacun sait également que lors de la communion, dans le rituel catholique, le prêtre boit le « sang du Christ », symboliquement représenté par du vin.

L’appel de la foi et de son sacerdoce. Alors qu’il n’était pas encore prêtre Mikhaïl habitait dans le Donbass dans la ville de Slaviansk. C’est ici avec la ville de Kharkov que l’insurrection républicaine a commencé dans l’Est de l’Ukraine. Les insurgés, renforcés de volontaires venus de Russie et d’autres pays du Monde tentèrent de garder la ville, mais ne purent la tenir devant l’arrivée de forces ukrainiennes de l’armée régulière, de la Garde Nationale et des premiers bataillons de représailles et de Bandéristes (dont le sinistre Aïdar). Aujourd’hui hélas, et depuis cette époque, Slaviansk et Kramatorsk sont devenues des bases arrières d’attaque du Donbass. L’enthousiasme pour les premiers référendums d’autodétermination de mai 2014 n’y était pas moindre que dans les autres parties du Donbass, Marioupol y compris. C’est à cette date, que Mikhaël se trouva à une croisée des chemins : devenir prêtre, ou choisir pour toujours une autre voie. Ressentant un appel puissant pour la prêtrise, son père étant par ailleurs également prêtre, ce fut le chemin qu’il prit à cette époque. Le plus incroyable c’est qu’en discutant avec lui, je me rendis également compte, que j’avais rencontré son frère, le Père Sergeï, dans un autre reportage exceptionnel que je fis dans la ville de Krasny Liman à la fin d’août 2022. Je gardais un souvenir lumineux de cette rencontre, et ce que je vécus pendant ces quelques jours hors du temps, à Krasny Liman (ensuite retombée aux mains des Ukrainiens fin septembre 2022), restera à jamais dans ma mémoire. Mikhaïl fut donc ordonné Prêtre et fut nommé dans cette fameuse église géorgienne de Gorkovka, où depuis lors il poursuit son office… et élève des vins et des spiritueux !

La terre du Donbass, un sous-sol riche et une terre généreuse. Quelle ne fut pas ma surprise donc, de découvrir la cuverie modeste du Père Mikhaïl, fier ensuite de m’inviter à une incroyable dégustation de sa production. Cahors, cépages locaux de « Gorlovka », vins cuits et même sortes de Ratafia, cette dégustation restera également gravée dans ma mémoire comme l’une des plus inattendue de ma vie, et l’une des meilleures pour mes papilles. Le Père Mikhaïl vinifie en effet des vins rouges, sans sulfites et l’apport de SO2. Une technique difficile, et son savoir, et cela n’est pas le moins remarquable, fut acquis sur « le tas », étudiant seul, expérimentant et arrivant à un résultat de mon avis magnifique. J’avais déjà en 2015, rencontré un particulier de la région de Marioupol, qui vinifiait pour son plaisir « des vins de table », du « Baragnon » dirait feu mon grand-père. En septembre 2022, dans les ruines de Marioupol, nous avions rencontrés avec le volontaire français Sergeï Munier, un autre « vigneron amateur ». Apprenant que nous étions Français, l’homme s’était empressé de nous organiser une dégustation en pleine rue, aux milieux des destructions, de sa propre production. Son vin, simple, généreux et aromatique se trouvait conservé dans des gros bocaux de 10 litres. Nous nous étions régalés. Le Père Mikhaïl quant à lui vinifie dans des jarres enterrées dans la cave se trouvant sous son église. C’est une antique tradition de vinification géorgienne. Il réalise toutes les opérations à l’ancienne, sans même une pompe pour les soutirages, et procède à des bâtonnages. Le résultat ce sont des vins puissants en arômes, avec des couleurs profondes et éclatantes. Quant aux vins cuits et aux spiritueux, il utilise pour les seconds les mêmes méthodes que nos Ratafia de Bourgogne. La rencontre était alors pourrait-on dire complète ! Pour la petite histoire et bien peu le savent, ma première formation fut vigneronne, j’ai été diplômé de l’école viticole de Beaune et vinifié durant de nombreuses années.

Pourrait-on implanter un vignoble dans le Donbass après le conflit ? J’en suis persuadé. Le climat s’y prête magnifiquement et les coteaux nombreux seraient autant de possibilités pour l’instant ignorées. Quant au Père Mikhaïl, il s’occupe en plus de sa paroisse de supporter ses concitoyens et paroissiens depuis son arrivée (la ville est toujours directement sur le front). Il est symboliquement l’archétype même des habitants de cette contrée : proche de Dieu, proche de la Terre, par le cœur et l’âme auprès des gens qui l’entourent, généreux, modeste, et en lui comme dans beaucoup des habitants du Donbass, brûle un feu que jamais l’Ukraine, et encore moins l’Ukraine bandériste, n’a pu éteindre et ne pourra éteindre. L’avenir de ce pays, avec des gens comme lui est assuré, et le Donbass, depuis longtemps a donné un exemple précieux à l’Europe et au monde en général : un exemple de résistance et résiliance, de liberté, de traditions préservées et d’ingéniosité.

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Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l’armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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