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Seconde Guerre mondiale vs Grande Guerre patriotique, la distorsion de la mémoire

Seconde Guerre mondiale vs Grande Guerre patriotique, la distorsion de la mémoire
Escadrille Normandie Niemen

Nous fêterons l’an prochain le 80ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le plus grand conflit que l’Humanité est connu jusqu’à présent. Les derniers témoins à travers le monde disparaissent, et sans eux il ne reste plus qu’une vision bien sûr imagée, transformée, révisée, et dans le cas des différents pays, profondément différentes. Je me propose de faire un petit état des lieux et surtout un parallèle entre la France et la Russie, pour comprendre également ce qui se passe actuellement, c’est à dire une destruction de la mémoire en Occident qui est très inquiétante. Dans cette première partie, nous aborderons le cas français, avant de nous pencher sur la Russie dans un deuxième article.

De la France de l’après-guerre à l’histoire camouflée de la Seconde Guerre mondiale. Dans les années de l’immédiat après-guerre, la France et les Français furent occupés à bien d’autres choses que la mémoire. Il fallait d’abord reconstruire un pays partiellement ravagé et touché par la guerre. La France occupait également l’Allemagne, et possédait une zone, y compris dans la capitale allemande, Berlin. La politique interne de la France fut aussi un moment compliqué à gérer, notamment avec la tâche indélébile de la collaboration. Le pays fit le choix assez rapide de l’oubli, après des séries de procès, dont certains retentissants comme ceux du maréchal Pétain ou de Laval. Au début des années 50 déjà, une amnistie en termina avec les poursuites judiciaires et beaucoup de collaborateurs échappèrent ainsi aux foudres populaires, après des scènes qui sont restées choquantes jusqu’à nos jours, notamment les lynchages de collaborationnistes, ou les femmes françaises tondues pour avoir « pactisé » avec l’ennemi. Avec le commencement de la Guerre Froide, les cartes furent redistribuées et marquèrent durablement la trajectoire de l’écriture de l’histoire et son historiographie. La France dut encore vivre deux conflits coloniaux, en Indochine (1946-1954), puis en Algérie (1954-1962). Elle entra vite dans les 30 glorieuses, une période de prospérité qui fut initiée par une forte croissance économique (1945-1975), et une fierté nationale qui sous la direction du général De Gaulle replaça la France dans une position de grande puissance (1958-1969). La volonté du Général lui-même, fut à la fois d’écarter la difficile question de la collaboration, mais aussi de s’attacher à conserver une souveraineté certaine même à propos de l’histoire. De fait, il se refusa toujours à fêter le débarquement allié du 6 juin 1944, car la France officielle qu’il représentait n’avait pas été mis au courant de l’opération, sans parler du fait que les Américains avaient préparé un statut d’occupation de la France (AMGOT), où le Général était évincé, et où les USA avaient même préparé une « fausse monnaie » de francs « américains ». Dans le sein de la population, une intense activité de mémoire fut observée, associations d’anciens combattants, comme celle de l’Armée Rhin-Danube, associations nombreuses d’anciens maquisards, FFI ou FTP, de résistants ou de déportés. A la mort du général De Gaulle (1970), la mémoire de la Seconde Guerre mondiale avait été préservée, mais l’épineuse question de la collaboration laissée en suspens.

L’hideux visage de la collaboration s’invite dans le paysage français. Les choses évoluèrent souvent dans le mauvais sens, alors que trois tendances devaient naître sous les présidences de François Mitterrand et Jacques Chirac. Durant les années 80-90, la France fut secouée par l’impossibilité d’ignorer la collaboration. Divers scandales émaillèrent la période, le Président Mitterrand ayant d’ailleurs été un collaborateur zélé, avant de passer dans l’année 1943, à la Résistance. Il tenta de cacher cette réalité, mais à la fin de son deuxième mandat fut rattrapé par un passé impossible à camoufler. Il fut mis en porte-à-faux dans son obstination à protéger son ami René Bousquet, l’un des pires criminels français de la collaboration, qui fut finalement assassiné par un déséquilibré (1993). Il continua également à faire fleurir la tombe du maréchal Pétain jusqu’en 1992, avant que d’inquiétantes lézardes apparaissent dans l’opinion publique. Plusieurs procès emblématiques eurent lieu dans cette période, avec la traque et la condamnation de Klaus Barbie (1983-1987), pour crimes contre l’Humanité, puis celle d’un ancien cadre de la Milice, Paul Touvier (1973-1994), ou celle d’un ancien ministre et député, Maurice Papon (1983-1998). L’onde de choc fut grande, et décida le Président Chirac à faire un acte de repentir public pour la responsabilité de la France (certes de Vichy) dans les crimes contre l’Humanité. Des personnages de premier rang furent découverts comme liés à la collaboration après Mitterrand, dont Lionel Jospin (Premier ministre de 1997 à 2002), dont le père Robert avait été un collaborateur et l’une des plumes les plus actives de la collaboration. Avant lui, c’est l’oncle du Président George Pompidou (président de 1969 à 1974) qui avait été montré du doigt comme l’un des membres de la LVF, et l’initiateur de « l’oubli national ». Enfin sous la présidence de François Hollande, l’affaire Rebsamen (2013-2014), ministre, député et maire, éclata et montra qu’il était le fils d’un ancien membre de la Gestapo allemande (né en Allemagne à Stuttgart). Enfin, la SNCF et le gouvernement français furent condamnés à verser plusieurs dizaines de millions de dollars « aux USA, pour avoir participé à la déportation de citoyens américains dans les camps de la mort » (2014). Faute d’avoir réglé les problèmes en leur temps, la France fut particulièrement labourée par cette problématique, au point que l’Holocauste, ou Shoah devînt finalement le plus important des curseurs historiques de la Seconde Guerre mondiale en France. Pour des raisons politiques, les divers partis s’en donnèrent à cœur joie pour s’accuser, notamment en visant Georges Marchais, chef du PCF (élection présidentielle de 1981), accusé d’avoir été un travailleur volontaire du STO dans une usine de guerre allemande (Messerschmitt), ou le Parti du Front National d’abriter des anciens SS de la Charlemagne, d’anciens miliciens ou collaborateurs, sans parler des déclarations provocatrices de Jean-Marie Le Pen (années 80-90).

La fin de l’histoire souveraine et du roman national. La politisation de l’histoire en France s’est poursuivie avec pour premières conséquences la fin partielle du récit national. L’un des chocs les plus violents fut la publication de l’œuvre magistrale d’Henri Amouroux, La Grande Histoire des Français sous l’occupation (1976-1993), qui fut pour beaucoup dans le phénomène que nous avons décrit dans le précédent chapitre. L’enchevêtrement historique devait se révéler encore plus violent avec la publication du chercheur Israélien Simon Epstein, d’une autre œuvre majeure : Un paradoxe français, antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance (2008), qui montrait que la grande affaire de la collaboration fut majoritairement l’œuvre de la gauche française. Le futur candidat à la présidentielle de 2022, Eric Zemmour devait lui-même reprendre à des fins politiques ces travaux (2013-2014), avec beaucoup d’exagérations. Mais d’autres travaux moins visibles apparurent à la même époque, avec le documentaire Le Système Octogon de Jean-Michel Meurice (2007-2010), ou dans des conférences comme celle de François Asselineau sur Walter Hallstein, un nazi, 1er président de la Commission Européenne (2014). Ces débats s’accompagnèrent de premières reculades, avec la participation officielle de la France aux commémorations du 6 juin 1944 (Mitterrand de mémoire fut le premier). Cette première trahison fut pour beaucoup dans la réécriture progressive de l’histoire « française » de la Seconde Guerre mondiale. En quelques décennies, à grands coups de reportages, documentaires et films, les grands vainqueurs et libérateurs furent les alliés, et particulièrement les USA, bien plus que la Grande-Bretagne, et encore moins l’URSS. Bientôt furent éjectés l’immense majorité des faits d’armes des FFL. Bien peu d’écoliers pourraient actuellement dire ce que fut Bir Hakeim, et peu de Français pourraient dire quelque chose de l’armée française du maréchal Juin en Italie (Belvédère), ou du débarquement en Provence, de la 1ère armée française, des batailles de Colmar, Strasbourg et de la prise du Nid de l’Aigle. Dès lors pour la majorité, l’escadrille Normandie Niémen, la 13e demi-brigade de la Légion étrangère, et quelques grands soldats de cette époque (mis à part sans doute Leclerc et la 2e DB), ne signifient plus rien. Avec la fin du roman national, disparaît aussi la fierté nationale, et il ne reste plus que de sombres affaires politiques, la collaboration et des échanges de croche-pieds politiques qui ne sont plus rien que des manœuvres et manipulations.

L’histoire manipulée et bientôt révisée, jusqu’à la bandérisation qui pointe son nez. D’autres conflits sont venus s’inviter dans le paysage, notamment celui de la division des Français et de la Résistance, mais transposée à l’époque actuelle. En 2007, ce fut le tour du Président Sarkozy de tenter l’une d’elles, en mettant en avant la fameuse lettre de Guy Moquet. Ce résistant communiste, très jeune fut utilisé à des fins politiques ce qui raviva d’acerbes critiques. Depuis longtemps l’affaire Jean Moulins empoisonnait d’ailleurs le paysage médiatique. Des accusations diffamatoires furent lancées contre le couple Aubry (Raymond et Lucie, eux-aussi communistes), dans la recherche de celui qui avait vendu le chef politique et l’unificateur de la Résistance. Le coupable étaut connu de longue date, mais il fut innocenté à jamais par la justice française… depuis les archives allemandes ont parlé. Dans cette arène purulente de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale « française », d’autres enjeux sont ensuite apparus, liés justement à la russophobie et la Guerre Froide 2.0 menée contre la Fédération de Russie. Le Président Hollande refusa tout d’abord de répondre à l’invitation de Moscou pour fêter le 70ème anniversaire de la Victoire contre l’Allemagne nazie (2015). Dernièrement le Président Macron avait refusé d’inviter la Russie au 75e anniversaire du débarquement en Normandie (2019), une insulte gratuite totalement injustifiée. Après un débat public houleux, il a cependant invité une délégation russe aux commémorations du 80e anniversaire du débarquement en Normandie (2024). Mais cette invitation est aussi empoisonnée, toutes les invitations russes aux commémorations du 9 mai avaient été refusées précédemment depuis 2014. L’idée est ici d’humilier la Russie en célébrant une victoire britannique, canadienne et américaine… qui salit également la France (se rappeler ce que disait le Général), et où le narratif qui doit être validé par tout le monde en France : les USA ont gagné la guerre… Le second objectif est une tentative de Macron de prendre une position centrale et peut-être dans l’optique de négociations futures qui viendront un jour ou l’autre. Un moment même la légendaire escadrille Normandie Niemen avait été dissoute (2009-2011). Pire encore, la France avait voté à l’ONU contre une proposition russe visant « à lutter contre la glorification du nazisme », à plusieurs reprises (entre 2005 et 2022). Les raisons invoquées seraient qu’il s’agirait « de propagande russe », dans une bouillie médiatique sulfureuse et particulièrement sournoise.

Dans ce bilan sinistre et en conclusion, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en France n’est plus depuis longtemps qu’un objet politique, et de manipulations intéressées. Dans le même temps, l’enseignement de l’histoire en France s’est amoindrie, au point de faire de cette matière une option facultative (lycée). La connaissance des nouvelles générations de ce qui se passa pour la France à cette époque est désormais parcellaire et biaisée. En 2022, nous avons même assisté à des députés dans l’obédience d’Emmanuel Macron (Assemblée Nationale, Sénat ou Parlement européen), s’affichant avec un drapeau ukrainien… affublé du « Trizoub », un symbole ukrainien similaire à la Francisque des collaborationnistes de Vichy… et même pour certain avec le drapeau de l’UPA, l’armée collaborationniste ukrainienne avec l’Allemagne nazie. Je vous laisse imaginer les résultats sur notre société à longs termes, notamment au niveau des plus jeunes. Privés d’une vraie compréhension de ce qui se passa durant ce conflit capital, et dont notre société et notre monde sont issus, toutes les portes sont ouvertes, et la désinformation règne au point que chaque parent devrait s’inquiéter de ce qui est placé par l’enseignement de l’histoire dans les têtes de leurs enfants ou petits-enfants.

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2 Comments

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    Bonjour Laurent
    Bravo pour votre article surtout la partie concernant le plan des USA pour occuper la France et usurper sa monnaie . Peu de personnes parlent de ces projets venus d’ outre-atlantique, quant à la célébration du 6 juin , il est certain que bien des gens ne savent pas que le général de Gaulle s’ y était toujours refusé . Vue l’ actualité , et les propos tenus par certains qui se réfèrent à l’ homme du 18 juin !!!

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    Bonjour Laurent,
    Une petite pépite dans cette courte vidéo de 2014 lors des commémorations
    du 6 juin à l’occasion du 70ème anniversaire.
    L’ambiance est tendue, mais le tsar reste de marbre, il tient la Crimée et plus
    rien ne l’arrêtera.
    La pépite se trouve à 5’40”, c’est 25 secondes de pure jouissance,
    surtout quand le dominé Obama détourne le regard !!…
    https://www.youtube.com/watch?v=-oSB9gCgw_Y
    Wilfrid

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