Ce n’est pas sans émotion que j’ai appris la disparition puis la fin de Russel, car c’est peu connu mais j’ai travaillé avec lui durant quelques semaines à la fin de l’été 2015. C’est avec lui même que je suis allé pour la première fois sur le front et les premières lignes. C’est avec lui aussi que j’ai connu mon baptême d’une feu, sur une position qui se trouvait en face de Peski. Il fut l’un des collaborateurs de l’agence de presse DONI, fondée par Janus Putkonen en juillet 2015, et pour laquelle j’ai travaillé jusqu’à la fin de ma première année dans la RPD (juillet 2015-juin 2016). Russel était venu du Texas à la fin du mois de septembre 2014, pour s’enrôler dans les milices républicaines du Donbass. Il avait été l’un des premiers combattants volontaires étrangers à rejoindre le front, et depuis n’avait plus quitté sa terre d’adoption. Voici, un hommage modeste rendu à l’un des premiers activistes et volontaires venus de l’étranger. Il était un homme de conviction, haut en couleur, avec son accent texan prononcé. Il fut rapidement adopté par les habitants et jouissais d’une grande popularité. Sa mort le fait entrer dans le panthéon des héros du Donbass.
Un homme simple et haut en couleur. Russel ne s’en cachait pas, il avait été dans le passé un narcotrafiquant, et parlait librement de cette période sombre de sa vie. C’est sans doute là finalement le plus remarquable du caractère de cet homme, qui sans se cacher, se présentait dès le départ pour ce qu’il était, un homme, un simple citoyen américain, sans réelle prétention, mais venu donner et consacrer son énergie et sa vie à une juste cause. Voulait-il racheter ses fautes du passé en réalisant quelque chose de grand dans son existence ? C’est possible. A son contact je découvrais un personnage haut en couleur, au parler franc et qui ne se posait pas de questions. Le courage physique était assurément l’une des caractéristiques de Russell. Je me souviens de son récit de ses premiers combats, de son baptême du feu, durant la terrible bataille de l’aéroport (hiver 2014-2015). Il en gardait un souvenir précis, et me raconta l’intensité des combats et la violence terrible de cette bataille qui fut finalement gagnée contre « Les Cyborgs » (nom que se donnaient les soldats ukrainiens). Quasiment âgé de 53 ans, à son arrivée, il avait ensuite glissé vers le terrain de la ré-information et joua longtemps un rôle capital dans le public anglophone pour distiller une autre information sur cette guerre. Lorsque nous travaillâmes ensemble dans l’été 2015, l’homme était littéralement sur tous les fronts. Nous nous rendîmes dans les positions et les tranchées, dans des hôpitaux, des écoles, une école de judo, à la rencontre de civils vivants sur la première ligne, de blessés de guerre, notamment de très grands blessés (amputés, aveugles, grièvement brûlés dans des engins blindés, etc.). Nous allions, et c’est peut-être le plus drôle… au front en taxi ! Il était parfois difficile de trouver un chauffeur courageux pour nous convoyer dans les pires endroits de la ville de Donetsk, mais c’est ainsi, qu’avec peu de moyens nous avions commencé notre travail.
Un homme accueillit partout dans la joie et la reconnaissance. Partout où je me rendis avec Russell, je vis de mes propres yeux l’amour que les gens du Donbass lui portaient. Il était fêté, les gens voulaient le serrer dans leurs bras, lui serrer la main, le remercier, lui donner des cadeaux. Les enfants eux-mêmes désiraient lui offrir des dessins attachants. Je le vis donner de sa personne à tout moment, sur le front de l’humanitaire, de l’information, et il y avait l’ancien combattant des milices. Des écoles l’invitaient pour qu’il donne des conférences en anglais (Russell ne parlait au départ pas russe), à des étudiants en fin de lycée, ou de l’université. Son appartement était aussi un refuge permanent, et un lieu d’accueil pour des personnes en difficulté. Je le vis par exemple participer au financement des soins d’un jeune grand blessé, Micha, âgé de 19 ans. Ce jeune homme, amputé d’un pied, d’une jambe jusqu’au genou, d’une main, devenu aveugle, fut l’un des bénéficiaires de la générosité de Russell. Il fut souvent également invité par de nombreux médias locaux, passant à la radio où il animait une émission avec la reporter de guerre Katia Katina. Mais aussi bien sûr de médias russes et étrangers. Il se disait communiste, et parler de la lutte contre le fascisme, qui selon lui était la principale raison de sa décision de venir combattre dans le Donbass. L’un de mes plus grands souvenirs avec lui, fut une mission sur le front Sud, où nous passâmes 5 jours avec le 9e régiment d’infanterie de marine de la RPD, sur des positions de première ligne en face de Shirokino (non loin de Marioupol). Au petit jour, nous nous étions retrouvés tous les deux sur la plage, au bord de la Mer d’Azov. Russell en me montrant la ville de Marioupol qui se voyait au loin m’avait déclaré : « Un jour nous serons là-bas, nous prendrons la ville ! ». J’ai souvent pensé à lui lorsqu’en effet je me suis retrouvé avec Christelle dans la ville en 2022, alors que le sinistre régiment Azov ne s’était pas encore rendu. Ses paroles avaient été prémonitoires.
Une triste fin, pour un symbole fort du début de la guerre dans le Donbass. La dernière fois que nous nous rencontrâmes, c’était en janvier 2016, dans un concert caritatif pour financer des maisons aux civils ayant perdu leur domicile détruit par les bombardements ukrainiens. Il continua ensuite son chemin, trouvant aussi l’âme sœur dans le Donbass, se convertissant à l’Orthodoxie, et au final se maria avec une fille du pays. Il avait ensuite été honoré de divers médailles officielles et non officielles, d’un passeport de la RPD, et plus d’un passeport de la Fédération de Russie. Les années s’étaient passées ainsi jusqu’à l’opération spéciale, un long engagement, le combat de sa vie. J’ai longuement attendu pour rédiger cet article, les circonstances de sa mort restant jusqu’à ce jour incertaines et peu claires. Nous savons qu’il est mort assassiné, et sa veuve a lancé des appels touchants aux autorités russes pour faire toute la lumière sur sa fin. Elle a été entendu puisqu’une enquête est en cours et donnera sans doute des résultats. Je ne m’avancerais pas à donner des hypothèses, il est possible d’ailleurs n’arrive pas à se frayer un chemin. Mon propos, cet article, n’avait pour but que d’honorer la mémoire de Russell, l’Américain qui vînt dans le Donbass pour combattre pour la cause des Républicains insurgés. Il est aujourd’hui dans le panthéon des héros de la République Populaire de Donetsk. Il n’était bien sûr pas le seul, et l’histoire retiendra peut-être le nom de plusieurs d’entre-eux. Plusieurs centaines vinrent de différents pays, de Serbie, d’Espagne, d’Italie, de Grèce, de France, de Belgique, de Suisse, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Irlande, d’Uruguay, de Colombie, du Brésil, d’Inde, du Gabon, de Tchéquie, de Slovaquie, de Finlande, pour les nationalités que j’ai rencontrées. Certains sont tombés dans l’anonymat, ou ont été grièvement blessés. Certains se sont installés durablement dans le Donbass, d’autres sont rentrés chez eux. Certains ont démérité et se sont mal comportés, mais ils ne furent pas la majorité, Dieu merci. La plupart sont à jamais des héros, et beaucoup sont des anonymes dont personne ne parlera jamais. Russell est finalement l’un d’entre-eux devenu une icône. Il appartient désormais à l’histoire, la petite et la grande du Donbass. Il appartiendra à la Victoire qui immanquablement arrivera, tôt ou tard.
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Bonjour Laurent
Oui, un grand patriote , un héros de la République Populaire de Donetsk et de la Fédération de Russie . Za pobiedu !