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Contre quoi se bat la Russie en Ukraine ? Différents niveaux de lecture

Contre quoi se bat la Russie en Ukraine ? Différents niveaux de lecture

Voilà déjà deux ans et demi que l’Est du continent européen vit un conflit de haute-intensité avec des centaines de milliers de morts, ce qui signifie autant de familles et d’amis endeuillés.

Une chose qui semblait appartenir au passé, aux livres d’histoire, fait de nouveau apparition dans notre environnement ; mais en nous donnant un vertige encore plus immense quant on pense aux technologies militaires modernes, à l’arme nucléaire ou bien aux technologies de l’information liés au contrôle de l’opinion publique à travers ce que l’on connaît désormais comme l’ingénierie sociale.

Ce qui semblait inacceptable paraît désormais possible… Et cette frontière, cette fenêtre de possibilité, se déplace toujours plus dangereusement.

Vivant dans des pays sous influence « otanienne », les pays d’Europe de l’Ouest comme la France ; connaissent une vision du conflit fortement biaisée, à travers le « narratif » officiel politico-médiatique. Avec l’énorme et fascinant travail des rouleaux-compresseur de la propagande, beaucoup de français ne semblent pas loin de penser que Vladimir Poutine mange des enfants pour le petit déjeuner…

Nous avons aussi tous des prismes plus ou moins forts, des visions des choses, des biais aussi, conscients ou inconscients, car nous ne pouvons pas être partout. Dans la vie, de façon personnelle ou professionnelle, nous faisons confiance à l’information qui nous vient, mais cela à des degrés divers. Nous tentons de choisir cette information, de coller le plus possible à ce qui nous semble le réel et d’être en accord avec nos valeurs.

Le réel, c’est aussi que ce conflit étant présent, latent ; bien avant février 2022, mais peut être sous une forme moins intense.

Je souhaite me pencher aujourd’hui sur les différents niveaux de lecture de ce conflit, qui a une importance capitale. Et on devine cette importance capitale à travers le degré d’implication des parties, que ce soit du côté de l’OTAN et ses sbires que du côté de la Fédération de Russie et ses alliés.

Il y a en effet le conflit local, régional. Celui d’un pays, l’Ukraine, dont une partie de la population s’est positionnée contre le coup d’État dit « Euromaidan » en 2014.

Il y a donc en Ukraine des populations et des territoires, plus ou mois homogènes. Certains ukrainiens n’ont pas validé un travail de fond extrêmement fort et puissant des « spin doctors » ; travail de fonds de « soft power » et ses ramifications, dont les américains sont les maîtres et comptabilisé en milliards de dollars d’investissements, visant à arracher l’Ukraine d’une sphère d’influence liée historiquement, géographiquement et même « familialement » au « monde russe » ; pour la mettre dans un giron occidental européo-atlantiste. Avec en carotte et en mirage (de moins en moins visibles) des notions fortes généralement liées au rêve occidental : « démocratie », « droits de l’homme », « prospérité économique », « liberté en tout genre »…

Donc, le premier niveau de lecture est probablement le niveau local. Le conflit armé pour la possession de terres et de zones d’influences. Des terres liées à des habitants qui refusent le giron occidental, et sont en conflit avec le pouvoir de Kiev de façon ouverte depuis 2014. Ce conflit est aussi lié à la langue russe et son utilisation.

Cette influence occidentale est bien sûr assez ancienne maintenant, au moins depuis la chute de l’Union soviétique. Nous en revenons à la stratégie américaine, hyperpuissance mondiale de la seconde moitié du 20ème siècle, pour garder son hégémonie…

Cela nous amène à un autre niveau de lecture, celui d’une force géopolitique que l’on peut nommer « États-Unis et ses vassaux » ou « OTAN », ou « Occident Global » ou « Anglo-saxons et satellites », force qui lutte pour étendre et maintenir son hégémonie.

On peut citer un livre important pour tout amateur de géopolitique mondiale, « Le Grand Échiquier » de Brzezinski, conseiller en stratégie internationale auprès des autorités américaines. Ce livre donne des clés stratégiques pour maintenir une certaine hégémonie états-unienne sur le monde. Et là encore, la formule diviser pour mieux régner fait mouche… On appuie sur l’importance des liens Etats-Unis-Europe, au détriment du rapprochement Russie-Europe. On identifie les nouvelles grandes puissance mondiales montantes comme des menaces, notamment la Chine et le Russie. Et qu’elles sont les lignes de fractures ? Sur quelles braises faut-il souffler pour déstabiliser et diviser ?

D’où probablement l’acharnement à mettre en avant le sujet des Ouïghours chez une personne comme Glucksmann, agent de l’étranger s’il en faut, très actif lors du Maïdan de Kiev. Ou bien d’appuyer sur le nationalisme ukrainien…

L’importance aussi, dans ce livre, pour déstabiliser des entités comme la Russie, est d’utiliser des États-pivots ou « Twin-states », de la même manière qu’un levier pour soulever une charge lourde.

Ces États-pivots sont l’Ukraine et le Kazakhstan, pays historiquement et géographiquement liés à la Russie. L’idée est donc d’utiliser l’élargissement de l’Union Européenne et de l’OTAN à l’Est, pour entraîner l’Ukraine dans ce giron.

Dans cette vision de guerre par « proxy » ou intermédiaire, on s’accorde donc sur le fait que des puissances nucléaires semblent ne pas pouvoir se faire la guerre directement. L’Ukraine et ses habitants apparaissent donc comme une victime de l’ « occident global » dans sa quête d’hégémonie, une sorte de terrain de jeu, un pays de taille critique convenable car bien placé géographiquement et historiquement pour déstabiliser l’ours russe.

On souffle donc sur tout ce qui peut éloigner l’Ukraine de la Russie, par exemple un certain nationalisme ukrainien, très présent à l’Ouest de l’Ukraine ; et tant pis si il peut être lié et s’inspirer d’une culture nazie. Il y a donc les bons et les mauvais nazis, comme il y a les bons et les mauvais islamistes, pour peu qu’on les utilise pour accomplir notre objectif…

Un autre niveau de lecture du conflit est donc celui de la lutte entre des idéologies « nazie » ou « néo-nazie » et racistes présentes en Ukraine à travers certaines forces armées contre ceux qu’ils considèrent comme des « eurasiens russes» et autres « asiatiques ». Il y a là pour certains un conflit « racial », de valeur idéologique. Il est intéressant de voir que les niveaux de lecture s’entrecroisent, se contredisent et vont ensemble. Par exemple il ne semble pas poser trop de problème aux pays de l’OTAN de souffler sur les braises d’ un certain nationalisme d’inspiration nazie, alors que ces mêmes pays occidentaux ont construit leur puissance et leur idéologie et leur « monde » en grande partie dans la guerre contre l’Allemagne nazie… On se souvient des titres des médias en France, lors des dernières législatives, n’arrêtant pas de faire des parallèles entre le parti du Rassemblement National français et le 3ème Reich, tout cela dans un but de discrédit. Il y a donc les bons et les mauvais nazis. Tout dépend si ils aident à atteindre certains objectifs…

Ces groupes sont donc utilisés comme de vulgaires outils ; et on ne rechigne pas à les utiliser si ils peuvent faire des dégâts en tant qu’intermédiaire. Bien sûr, toute personne qui dénoncerait ces liens d’idéologie « nazie » en Ukraine serait un « propagandiste du Kremlin »…

Un autre niveau de conflit est économique, avec celui de l’influence américaine sur l’Europe, avec, comme l’explique très bien l’analyste politique Xavier Moreau, une mise à pied de l’économie européenne au profit de États-Unis. Car la crise énergétique touche fortement les pays industrialisés d’Europe, notamment l’Allemagne. Suite à la destruction du gazoduc Nord Stream, l’énergie de notre « bourreau-sauveur » étant 4 fois plus chère, cela provoque des migrations de grandes entreprises vers le nouveau continent. Rappelons que l’objectif économique initial était de « mettre à genou l’économie russe », comme nous l’a indiqué notre désormais regretté génie de la finance national, Bruno Le Maire. Il y a donc un retour de bâton violent de la politique des sanctions économiques.

Un autre niveau de conflit celui des valeurs, presque un conflit de civilisation ou identitaire. En effet, de façon globale, la Russie semble être le seul pays « occidental » (dans le sens « européen ») assez puissant qui défend certaines valeurs traditionnelles, une certaine vision de la famille, une certaine vision de la société , une certaine vision de la spiritualité et de la religion, une vision de relations hommes/femmes, une vision de l’identité, en tant que homme ou femme. Non que l’on soit « obligé » de se marier et d’avoir beaucoup d’enfants en Russie… Mais les autorités étatiques suggèrent une voie, une direction, et vous êtes libre. « Mais voyez, il y aura des aides sociales si vous vous engagez dans cette voie », voilà le message…

En Occident, l’« establishment » et les autorités subventionnent ouvertement les valeurs « LGBT » (mouvement interdit en fédération de Russie) de destruction identitaire et de destruction de la famille, l’immigration massive organisée, toujours dans un sens fanatiquement idéologisé, sous la bannière « lutte pour les droits ». Il y a donc une volonté de destruction identitaire des groupes et des individus, qui ne doivent plus pouvoir se raccrocher à une identité quelconque, si ce n’est être un producteur/consommateur qui fait confiance et qui obéit à la figure parentale de « l’État ». Et les psychologues savent à quel point les enfants, les adolescent, et même les adultes, sont influençables, et les dégâts que cela entraîne…

Il est intéressant de voir que la Russie défend ces valeurs traditionnelles, tout en étant de plein pied dans le 21ème siècle avec une forte utilisation de la technologie.

Un autre niveau de lecture du conflit qui se joue en Ukraine est celui de la Russie, en tant que leader du Sud global, ou bien leader d’une partie du monde qui conteste ou rêve de contester l’hégémonie occidentale, et qui est prête à se positionner clairement et fortement contre cela, c’est à dire avec la force militaire si besoin. D’où l’immense aura de la Russie dans plusieurs pays africains qui souffrent d’une sorte de néo-colonialisme occidental, et qui voient en la Russie un pays qui a osé dire non, qui a osé taper du point sur la table, et arrive à faire front, économiquement et militairement contre les puissances des États-Unis et satellites. Pour eux, Vladimir Poutine a acté un geste fort en décidant l’opération militaire spéciale « Non, nous ne nous laisserons pas faire,… non cela suffit d’avoir à obéir à vos règles… nous sommes assez fort pour affirmer ce que nous voulons, et ce que nous voulons est légitime et nous sommes prêt à la confrontation! », voilà le message tel qui est compris dans le Sud global, et il y a de forte chances que ce message se duplique dans toutes les parties du monde où l’Occident global impose ses règles, voyant l’exemple réussi des russes. Comme si ils regardaient un grand frère en ce disant « Wow, il a osé ! Alors moi aussi je peux le faire… ». Cet exemple est visible auprès de pays « pauvres », comme en Afrique ou en plein développement, comme avec les BRICS… Rappelons à ceux qui parlent d’impérialisme Russe, que par exemple les États-Unis ont plus de 800 bases militaires partout dans le monde, alors que l’on compte peut être sur les doigts de la main le nombre de bases russes à l’étranger (Syrie, Moldavie).

Enfin, un dernier niveau de lecture du conflit concerne la vision future d’un nouvel ordre mondial, pour remplacer celui post-1945, et post-URSS… La diplomatie russe semble proposer une vision multilatérale des relations internationales, avec des relations cordiales, respectueuses et vertueuses d’États-nations à États-nations, même de tailles et de puissances différente. Tandis que la tendance à l’Ouest semble être le fusionnement dans des grands « tout» sous domination américaine. UE… OTAN… La dissolution des nations européennes, une certaine tendance à vouloir tenir le haut de pavé moral malgré toutes les compromissions, tout en exerçant une politique du double standard et des mesures coercitives violentes (sanctions économiques et militaires) contre ceux qui ne « s’alignent pas » ; même si cela se retourne contre les populations occidentales.

Donc, voilà pour les multiples niveaux de lecture du conflit à l’Est de l’Europe ; ce n’est donc pas seulement un conflit territorial au sens strict.

Même si une opposition de cette nature se lit dans une grande complexité ; on ne peut pas la qualifier de lutte « des bons contre les mauvais », dans un sens ou dans l’autre, car la souffrance n’a pas de camp…

Il semble tout de même que au niveau militaire, moral, et éthique mais aussi économique et des valeurs ; les positionnements de l’« Occident global», malgré son point fort qui est sa capacité de propagande jusqu’à nier le réel ; semblent finalement difficilement tenables à long terme…

Je vous invite à noter en commentaires les autres niveaux de lecture que vous voyez éventuellement dans ce conflit.

Bruno Bardiès

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