Comment rapprocher le sommet des BRICS et les révolutionnaires américains ? En réalité, c’est très facile : Ils sont dans la même situation. Confrontés à une puissance qui les détruira en cas de défaite, les pays des BRICS sont condamnés à s’entendre pour survivre. Comme le disait Benjamin Franklin : “We shall hang together, or we shall hang separately”.
La naissance des BRICS doit être comprise dans un monde où les sous-jacents évoluent. Au départ, le concept fut forgé par un économiste de Goldman Sachs qui estimait ces nations capables d’égaler le poids économique du G7 avant la moitié du XXIe siècle. L’idée était donc économique et non politique ou géopolitique et comme telle faite de milles petites évolutions impossibles à arrêter.
En 2009, les BRIC s’institutionnalisent avec les premières réunions des chefs d’états et cette transition change le sens du concept. L’économie ne disparaît pas, mais elle gagne une reconnaissance politique et le club devient porteur d’une insatisfaction de leur représentation dans les instances internationales. La doctrine des BRICS s’élabore pendant la seconde décennie du siècle avec finalement un problème commun : Les actions de l’empire américain et de ses affidés européens.
La Yougoslavie, l’Irak avaient démontré la facilité avec laquelle l’Hégémon occidental recoure à la violence contre les pays dont les directions ne manifestent pas une obéissance servile à ses intérêts. Face à sa perte de sa première place, l’Amérique réagit par la brutalité et porte les néo conservateurs au pouvoir dans un déchaînement de puissance destiné à terroriser. Pour ceux durs d’oreille, la Libye constituera la démonstration suivante et le désastre humain d’un pays où le niveau de vie était correct pour la région en une terre ravagée par la guerre civile, charge l’occident d’un crime sans nom. Bien sûr, Kaddafi n’était pas le plus grand des démocrates du monde, mais ses successeurs le sont-ils ? Le monde ne peut s’empêcher de mettre cette action en parallèle avec la complaisance dont joui le Rwanda, malgré les actions du M23 au Congo. La démocratie semble moins exigeante, là où coule le Coltan ! Surtout, s’il est vendu en dollars et non avec des rêves de Dinar or.
Chine et Russie se trouvent alors en première ligne face aux Américains et l’occident multiplie les « sanctions » contre eux. Les trois autres membres du club : Inde, Brésil, Afrique du Sud sont moins concernées, mais aux aussi préféreraient sûrement moins d’ingérences occidentales et sans être moteur, elles suivent la transformation du club ce qui lui apporte une certaine crédibilité dans sa tentative de porter la parole du Sud global.
On le constate, les BRICS ne sont pas un projet positif, mais une réaction à la politique hors de contrôle de l’occident que l’on peut caractériser comme étant l’empire Américain et ses vassaux (UE, Australie, Japon). En ce sens, insister sur les divergences, les heurts et les désaccords des pays BRICS, BRICS+ et autres élargissements du concept fait sens.
Seulement, les clubs de mécontents peuvent parfois aboutir à des projets positifs et nous avons un magnifique exemple avec l’histoire des colonies américaines devenues indépendantes. La Boston Thea Party débouche sur la guerre d’indépendance. Là encore, la politique suit une évolution de fond où les équilibres se modifient. Dans ce cas, ce fut une modification démographique importante, l’injustice ressentie face aux taxations de la couronne britannique fut le boutefeu du conflit. On ne peut que constater la ressemblance avec la situation des BRICS.
Là aussi, l’économie mondiale a basculé du côté des BRICS et la guerre d’Ukraine a montré les rapports de forces industriels pour ceux qui doutaient du déclassement industriel occidental.
Plus important, là où la population se révoltait au nom d’un front du refus qui coalisait les oppositions au roi d’Angleterre, la révolution américaine accouchera d’un état unitaire. C’est le fameux moment Hamiltonien où les colonies mettent en commun les dettes fédérales. Alors, s’il est évident que l’UE rêve de ce moment, les BRICS ne le feront probablement pas, mais une certaine solidarité peut naître entre eux de peur de devoir affronter les représailles de l’empire occidental agonisant.
Là est peut-être le cœur de la transformation chimique en cours dans les relations internationales où des pouvoirs contraints de vivre ensemble développent des arrangements pour surmonter leurs différences. Là est probablement la grande amélioration apportée par les BRICS aux relations internationales : Leur démarche ne sera cautionnée que si elle contribue à réduire les tensions du monde. Les diplomaties des pays BRICS multiplient les ententes inattendues. Apaisement des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, accords Hamas-autorité palestinienne et lors du dernier sommet on a vu une entente Inde-Chine pour régler leurs différends. Certes, toutes ces initiatives diplomatiques devront vivres, mais elles contribuent à apaiser le monde dans des secteurs que la diplomatie occidentale déclaraient insolubles.
Plus l’occident augmente la pression contre les pays non soumis, plus les BRICS sont contraints de s’entendre sur une liste de sujet croissante. Le sommet de Kazan fut ainsi une traduction de cette mécanique en cours. Les sanctions occidentales ont créé un système financier alternatif non contrôlé par l’occident bien utile pour permettre à la Russie d’éviter la destruction par les sanctions occidentales.
A Kazan, les pays BRICS ont acté le nouveau rapport de force pour demander une réforme des institutions internationales existantes. Ils demandent une réforme du FMI, de l’ONU au lieu de créer de nouvelles institutions. Il s’agit là d’une offre de paix, d’une transition négociée vers le monde d’après.
Seulement, les dirigeants occidentaux sont-ils capables de comprendre la demande ? Les pays BRICS sont prêts à renforcer leurs initiatives pour vivre ensemble et dupliquer les institutions internationales, mais ils réalisent le prix à payer en termes d’intégration et semblent ne pas y tenir. C’est cohérent avec leur individualisme et leur volonté d’être traités en égaux et il s’agit d’une occasion de négocier un règlement global sur l’ordre du monde dans l’intérêt de tous.
Les BRICS y sont près, mais nos dirigeants y sont-ils seulement ouverts ? Il est probable que non et que nous gâcherons une fois de plus cette occasion de limiter les dégâts. Alors, effectivement, les BRICS seront contraints de renforcer leur intégration et de créer un ordre international compétiteur du nôtre, ce qui finira en deux alliances mondiales avec les risques de confrontations liés à de telles configurations.
Eux le comprennent, et nous ?
Jules Seyes
Publié à l’origine sur le Média en 4-4-2