Hier se tenait à Moscou, à l’ambassade de Biélorussie, la présentation du livre de la reporter de guerre biélorusse, Ludmila Gladkaya. Jeune reporter, son livre dénommé Les leçons du Donbass évoque son travail sur le front depuis 2022. Le livre a été publié avec le soutien de l’Union des Journalistes de Biélorussie, et a pour objectif de montrer la guerre selon une approche qui m’est chère : celle des gens simples du Donbass, les oubliés, ceux qui souffrent. D’abord étudiante en pédagogie à l’Université de Minsk, elle a entamé une carrière dans le journalisme, et déclarait qu’elle était venue sur le front du Donbass « pour se trouver là où l’on avait besoin d’elle ». Peinée par les réactions indifférentes, ou dans l’incompréhension de ce qui se passait en Ukraine et dans le Donbass, elle avait décidé de prendre son bâton de pèlerin pour faire un travail de terrain remarquable.
De toute ma longue histoire dans le Donbass, et bien sûr de reporter de guerre, j’avoue que je me suis rendu à cette invitation avec beaucoup de réserves. La plupart du temps, cette guerre n’est montrée que par un prisme de la propagande, ou sur des aspects uniquement militaires qui dans un certain sens n’ont que peu d’intérêts. « La guerre se sont des gens, c’est l’histoire de destinées », déclarait le maire de la ville de Gorlovka qu’elle interviewait. Car le livre publié l’an dernier est prolongé par un film puissant, vous prenant aux tripes et qui montre une toute autre réalité : les veuves, les enfants sur le front, les humanitaires prenant des risques incroyables, les jeunes enrôlés des républiques, les étudiants, les adolescents qui n’ont connu que la guerre dans leur courte vie, et des témoignages de gens qui ont vécu l’enfer du front, dans les caves, ou sous la menace constante des crimes de guerre ukrainiens.
Rarement, voire presque jamais, je n’ai rencontré de reporters qui font exactement le travail de la façon que je l’ai abordé depuis 2015. L’assemblée qui assistait à la présentation fut prise de larmes, et les émotions furent si fortes, que les larmes me sont également montées aux yeux. C’est un travail rare et d’une importante capitale que Ludmila a réalisé et continuera, je l’espère, de réaliser. Son travail c’est aussi celui de toute une équipe, notamment d’un artiste et dessinateur, également de Biélorussie, Oleg Karpovitch, qui a donné vie à des scènes poignantes de ses missions. A travers sa plume, ses photos parlantes et émouvantes, ses images et sa sincérité, elle s’est rendue sur le front comme rarement les journalistes le font, et devraient le pratiquer. Comme j’aime à le faire, elle n’a jamais porté d’insignes révélatrices de son statut de reporter, et les caméras et appareils photos n’étaient pas tournés vers elle… mais vers le peuple courageux du Donbass. Avec son cœur, ses émotions, c’est ainsi que cette frêle et fluette jeune femme a affronté des situations, dont je connais peu de gens qui auraient été en capacité de les appréhender, de les vivre et par dessus le marché, de recommencer.
Son travail pour l’instant est en langue russe et biélorusse. L’Union des Journalistes de Biélorussie dont elle fait partie avait préféré partir des structures occidentales et européennes. Selon ses propres paroles et celles d’Oleg, il n’y avait plus aucun sens à rester dans des structures corrompues et qui ne font plus, et depuis longtemps le travail du journalisme et de l’information. Son travail impressionnant a fait sensation depuis l’an dernier, au point que le Ministère de l’information de la Biélorussie s’est décidé à financer l’impression de ce premier livre. Très sceptique en arrivant dans cette conférence, j’ai compris très vite comment les gens qui prennent connaissance de son travail ne peuvent être que captivés et convaincus. Ludmila nous parlait dans son livre de leçons du Donbass, mais j’ai assisté hier à une leçon magistrale pour tous les journalistes dans le monde. En marchant à contre-courant, elle chemine dans la bonne direction et peut-être sera-t-elle l’un des exemples qui feront, qu’un jour, le journalisme dans le monde multipolaire sera partout cité en exemple. Un exemple de vérité, humain, plongeant dans les émotions et n’ayant aucune autre prétention que de dire les choses comme elles sont.
Félicitations. Le courage et la vérité sont deux valeurs essentielles.