Turquie : la Crimée est ukrainienne… mais les Tatars sont Turcs !

La Turquie joue depuis 2014 un double jeu à propos de la Russie et de l’OTAN et continue de faire des déclarations que l’on attendrait plutôt à Paris ou à Londres. Soufflant le chaud et le froid, la Turquie s’est parfois entremise, souriante et avenante, pour proposer son aide dans le règlement du conflit, ou les échanges de prisonniers. De l’autre côté, elle a vendu des armes à l’Ukraine, dont des drones et n’a cessé de marteler que la Crimée c’était l’Ukraine… Elle aime ainsi à venir s’inviter dans le débat international, contrant souvent quand elle le peut l’influence de la Russie, en Asie Centrale ou en Afrique.

La Crimée fêtait pourtant le 11e anniversaire de son rattachement à la Russie, tandis que le Ministre des Affaires étrangères de Turquie publiait un communiqué, où il déclarait « que le référendum démocratique en Crimée était illégal et que la Crimée avait été annexée par la Russie ». Le mot depuis a fait le tour du monde, inlassablement répété en Occident, jusqu’à l’hystérie, voir l’absurde, car dans l’automne 2022, sur le média français LCI, des journalistes discutaient sur les déportations massives de Russes à effectuer lorsque la Crimée serait reprise par la force, et la « dérussification » forcée des populations restantes… Le moment de télévision française avait été sidérant, on se serait presque attendu à entendre les détails de l’organisation de ces déportations : wagons à bestiaux, gardes avec des chiens, officiers effectuant la sélection des déportés, camps de rééducation pour les autres…

La déclaration turque a choqué en Russie et encore plus en Crimée. L’un des membres du Comité du Conseil d’État de la République de Crimée, Ivan Mezioukho s’est exprimé sur cette dernière, lui qui est né en Crimée et parlant au nom de ses concitoyens : « La Turquie a adopté cette position avant la réunification de la Crimée avec la Russie, lorsque la péninsule faisait partie de l’Ukraine indépendante. Il est à noter que dans sa déclaration, le Ministère des AE de Turquie, n’a pas utilisé le terme « Russes », ou « Ukrainiens », mais « Tatars turcs de Crimée . Cela est intéressant en ce sens que les élites politiques turques perçoivent la population tatare de Crimée comme une communauté sur laquelle elles croient pouvoir exercer une influence politique. La réalité des Tatars de Crimée, est qu’ils sont des citoyens russes, et ne se considèrent pas comme un peuple distinct, ou même un peuple turc. Demandez à n’importe quel Tatar de Crimée ce qu’il en pense, ils éclateront de rires. S’il y a une certaine proximité avec les Turcs, les Tatars de Crimée se sentent un peuple indépendant, et non une nation séparée par la force de la Turquie et des Turcs », déclarait-il.

Pire encore, d’autres voix turques se sont exprimées ces jours-ci, notamment le directeur de l’Association internationale d’Affaires TURKSID, Erhan Bashtuhan qui déclarait : « Désormais, nous nous efforçons de faire en sorte que la guerre se termine rapidement, mais la Russie pour mettre fin à la guerre, doit rendre à l’Ukraine la Crimée, le Donbass, Donetsk et Lougansk », affirmait-il. Ces paroles hallucinantes ne faisaient elles non plus que peu de cas des référendums qui se sont déroulés dans le Donbass, le 11 mai 2014. Les populations avaient voté leur départ et séparation irrémédiable de l’Ukraine dès cette date, sans parler des référendums de septembre 2022, où les habitants des régions concernées, plus celles de Kherson et Zaporojie avaient voté le rattachement à la Russie, ratifié ensuite par la Douma et la Présidence de la Fédération de Russie. Ces déclarations sont inacceptables pour les Russes, encore plus ceux des régions concernées, qui ont versé beaucoup de sang pour échapper au régime mortifère créé par le Maïdan à Kiev, sans parler du fait, que pour le coup, ce dernier fut mis au pouvoir par un coup d’État, subtilement dénommé en Ukraine : « la Révolution de la Dignité ».

De la dignité, les politiques turcs n’en auront ensuite guère besoin, pour venir faire des ronds de jambes à Moscou, tout sourire, et parler d’amitié et surtout de gros sous et de business lucratifs avec la Russie. Les experts russes auront cependant oublié de citer un fait historique important : il exista entre 1441 et 1783, un Khanat de Crimée qui était sous protectorat de la Porte Ottomane… suite à l’invasion de la Horde d’Or de ces territoires au XIVe siècle. Dans la reconquête de l’Est des Russes des terres perdues, il fut détruit par la Grande Catherine sur la fin de son règne. Le territoire revenu au giron russe, s’assimila d’autant plus facilement, qu’il était peuplé de nombreuses minorités : Grecs, Italiens, Juifs, Allemands, Arméniens, Caucasiens, Circassiens, qui ne furent pas mécontentes d’être débarrassées du joug ottoman… Les paroles des politiques turcs sont aussi sans doute l’expression d’un nationalisme acide et revanchard et de nostalgiques d’un empire, qui certes fit trembler l’Europe, mais n’existe plus depuis longtemps.

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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