Dniepropetrovsk, un des épicentres de la corruption en Ukraine

La corruption qui règne en Ukraine n’est pas un fait nouveau et a déjà été documentée à de nombreuses reprises, notamment par certains de mes articles, ou ceux de Christelle Néant, dans ce que j’appelle « le cirque ukrainien ». Pays considéré comme le plus corrompu en Europe, l’Ukraine a le triste privilège de remporter la première place, devant un certain nombre de pays qui sont la Moldavie, l’Albanie, le Kosovo, la Macédoine, la Bosnie, la Serbie, la Bulgarie, la Biélorussie et enfin le Monténégro. Force est de constater que 7 de ces 10 pays, ont été victimes d’une guerre provoquée par les triturations de l’OTAN et des USA.

L’Ukraine au commencement de son histoire indépendante (1992), partait comme toutes les anciennes républiques de l’URSS avec des difficultés et un terreau fertile. La Russie elle même fut contrainte de traverser une zone de turbulences très longue, qui faisait suite à l’écroulement de l’Union soviétique. Contrairement, à la Russie, l’Ukraine n’a toutefois jamais réussi à combattre efficacement un monde oligarchique, qui présidence après présidence s’est aggravée au point d’impacter fortement le pays, voire de le ruiner. Partant avec la plus grande étendue de territoire, même devant la France (sans l’Outre-Mer), l’Ukraine disposait d’un large héritage laissé par l’URSS : industrie métallurgique, immenses usines, exploitations minières, sols riches de minerais rares, possédant des terres à céréales parmi les plus fertiles du monde, le pays pouvait compter sur une population se trouvant dans le top 3 des plus alphabétisées et diplômées au monde. Malgré tous ces avantages, et le fait d’être un carrefour intéressant entre la Russie, l’Europe Centrale et Occidentale, l’Ukraine fut mise en coupe réglée par une élite pendable et assoiffée d’accumulations de richesses.

Après le Maïdan, le Président Porochenko, lui-même un oligarque et connu pour ses pillages invétérés, nomma dans les régions un certain nombre de ses semblables. Dniepropetrovsk fut certainement le pire exemple et résultat, avec la nomination à la tête de l’administration régionale, de l’oligarque et mafieux, Igor Kolomoïsky, l’homme qui de plus mis le pied à l’étrier du Président Zelensky. Son action fut si méprisable, qu’elle traversa les frontières de l’Ukraine : système mafieux de prises de contrôle illégales d’entreprises concurrentes, rackets des « pro-russes », pillages organisés dans le Donbass par la fameuse « armée privée » de Kolomoïsky, qu’il finança à coup de millions. Par la suite évincé et entré en lutte avec le Président Porochenko, il mit à disposition de son rival, Vladimir Zelensky, la puissance des médias qu’il possédait, et après bien des passes d’armes revînt sur le devant de la scène après un exil forcé (2019). Trop visible, dérangeant, il fut toutefois attaqué par George Soros en personne, et l’administration Biden obtînt finalement sa tête, Zelensky le lâcha dans l’instant (2020).

Avec le déclenchement de l’opération spéciale russe (2022), et les milliards pleuvant sur le pays, soit en argent sonnant et trébuchant, soit en matériels et denrées diverses, la corruption a explosé dans le pays, atteignant un niveau jamais observé auparavant. C’est ainsi que dès 2023, l’Ukraine enterrait tous ses concurrents, pour ravir le prix du pays le plus corrompu en Europe. L’un des points sensibles et source de corruption a été le système de la Défense Territoriale de l’Ukraine. Cette organisation lancée en 2014, puis refondue avec l’aide de l’OTAN en 2018, a créé des brigades dans toutes les régions, dont la gestion fut laissée aux administrateurs régionaux, et non au Ministère de la Défense d’Ukraine. Dernièrement c’est la 128e brigade Tro, qui a défrayé la chronique, y compris et surtout dans la presse ukrainienne. Le politique local et maire de la ville, Boris Filatov, dont nous avions déjà parlé dans les frasques et vacances luxueuses dans des îles lointaines de membres de son équipe, est aujourd’hui épinglé. A chaque anniversaire de la brigade, l’homme s’est lancé dans l’organisation d’événements pompeux, ponctués de discours et de ronds de jambe, mais surtout les demandes de budgets ont été de plus en plus nombreuses.

Les médias ukrainiens se sont penchées sur cette brigade, où par des dénonciations internes des soldats, ou d’administrateurs locaux intègres, la sonnette d’alarme a été tirée. Pour la seule année passée, et la seule 128e brigade de Défense territoriale, Filatov a en effet reçu plus de 400 millions d’UAH, et plus de 8 millions versés par des contributeurs privés, entreprises ou riches patriotes. La presse ukrainienne a fait remarqué qu’il n’y avait aucune transparence sur la destination de ses fonds, sur les réelles distributions annoncées de fournitures pour les soldats, de drones ou de matériels. Dans le même temps, les médias locaux se sont étonnés du début de la réfection de routes dans la ville et ses alentours. L’Ukraine était connue justement pour le vol des fonds publics en principe destinés à la réfection des voies publiques et des routes. Mais à l’inverse, certains entrepreneurs bénéficiaient de contrats juteux pour des installations et routes relativement en bon état. Ici, la gestion de Filatov a attiré l’attention, par le fait que la ville n’est pas si éloignée du front, et souvent bombardée. L’affaire s’est envenimée lorsqu’il a été connu qu’en contournant les appels d’offres, les chantiers avaient été confiés à une des entreprises des frères Dubinsky… des amis très proche du chef de l’administration locale.

Ne pouvant plus cacher les concussions et triturations, une enquête a été diligentée par Kiev, notamment sur le chef de la 128e brigade, Alexandre Vodolazski, suspecté de détourner à son niveau une partie des fonds généreusement accordée à l’unité. La population avait été également choquée par l’information que les membres locaux du TCC, les recruteurs de force de l’Ukraine, surnommés à Dniepropetrovsk « les Filatovski », touchaient eux aussi des primes au résultat, pour leurs chasses à l’homme… Bien que la ville soit fermement tenue par la police politique du SBU, une grosse garnison et également autrefois l’une des bases d’attaque du Donbass, la population, comme dans toute l’Ukraine grogne. Elle s’inquiète par ailleurs de la situation militaire, des hôpitaux de la ville débordée, et également des morgues qui n’abondent pas. A certains endroits du front, la frontière de l’oblast de Dniepropetrovsk n’est plus qu’à quelques kilomètres des premières unités russes. Si les canons russes sont encore loin de la capitale régionale, la ville est soumise à des bombardements récurrents de missiles ou de myriades de drones d’attaques. Une partie de la population s’est déjà enfuie, d’une part les Russes ethniques n’avalisant pas le Maïdan (entre 2014 et 2018, essentiellement), d’autre part après 2022 dans des pays européens refuges.

Ce qui reste, pour l’essentiel le petit peuple ukrainien, est pressuré, enrôlé de force et condamné à un avenir sombre. Le pire dans cette histoire, est qu’un tel tableau similaire existe dans toutes les grandes capitales régionales. Seuls les noms des corrompus changent, ceux des maires, des politiques ou des hauts-fonctionnaires, ainsi que ceux des entreprises qui profitent de ce pillage en règle. Après tout, avant la fin, et dans une guerre que les gens normaux en Ukraine savent perdus, les plus malhonnêtes s’empressent de se remplir les poches, le plus vite possible et sans vergogne.

IR
Laurent Brayard - Лоран Браяр

Laurent Brayard - Лоран Браяр

Reporter de guerre, historien de formation, sur la ligne de front du Donbass depuis 2015, spécialiste de l'armée ukrainienne, du SBU et de leurs crimes de guerre. Auteur du livre Ukraine, le Royaume de la désinformation.

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