Il se déroulait hier, à l’initiative du Centre de Promotion culturelle et des projets et programmes innovants de Moscou, et avec l’Ambassadeur de la Corée du Nord à Moscou, un forum de l’amitié entre la Russie et la Corée du Nord. J’ai eu la chance, d’être l’un des très rares journalistes invités à cet événement, alors que la Corée du Nord est toujours dans le monde francophone et occidental, un sujet polémique et très tendu. Pendant toute une longue et constructive soirée, la délégation nord-coréenne a échangé avec divers intervenants de l’ensemble de la société russe : députés de la Douma, officiers et généraux du Ministère de la Défense, hommes et femmes d’affaires porteurs de projets de collaboration, grands fonctionnaires de l’État, représentants de différentes universités, y compris d’ailleurs un chercheur et médecin d’un institut à Donetsk en RPD, sans parler d’un représentant du Parti socialiste d’Ukraine, réfugié en Russie, suite à l’interdiction de son parti par le régime de Kiev (ainsi que 11 autres partis politiques, beaucoup de médias et de syndicats).
Le rappel de la longue histoire commune. La soirée avait commencé avec le rappel de l’histoire entre les deux pays, qui commença en particulier avec l’écrasement des forces japonaises en Extrême-Orient. C’est de cet épisode militaire à peu près inconnu, où l’URSS avait porté l’estocade à l’Empire du Japon chancelant, que les relations entre les deux pays commencèrent. Les alliés avaient en effet obtenu de l’Union soviétique à Yalta (février 1945), qu’après la victoire contre l’Allemagne nazie, l’URSS lancerait dans un délai de quelques mois, une opération militaire contre le Japon. Après le largage des bombes atomiques US sur Hiroshima et Nagasaki, les forces soviétiques se lancèrent à l’assaut de la Mandchourie et de l’armée dite du Kwantung. En moins de 15 jours, les troupes japonaises furent balayées, l’Armée Rouge faisant plus de 640 000 prisonniers, un succès militaire impressionnant. Les conséquences immédiates furent la libération de la Corée, occupée depuis 1895, par les Japonais (2 septembre 1945). Elle fut partagée en deux zones d’occupation, soviétique et américaine, à l’exemple de ce qui avait été fait en Europe, mais rapidement l’affaire avait tourné dans le contexte de la Guerre Froide, à la terrible Guerre de Corée (1950-1953). Quelques mois avant, deux États étaient nés de la situation, la Corée du Nord et la Corée du Sud (1948). Malgré une coalition occidentale puissante, la guerre ne se termina pas par l’écrasement de la Corée du Nord, grâce au soutien de l’URSS et de la Chine. Tout le monde connaît la suite.
Un forum culturel et économique. Le forum ne s’est pas contenté d’évoquer le passé et l’amitié russo-nord-coréenne, mais a également était l’occasion pour plusieurs entreprises russes, ou projets culturels ou scientifiques, de venir s’exprimer pour construire une collaboration plus large entre les deux pays. La firme SEDEK, une entreprise russe spécialisée dans la production et la vente de graines, de clones, greffons, dans le domaine des légumes, des fruits, des fleurs ou encore des arbustes, était présente avec des ambitions de partenariat. Cette entreprise se livrant d’ailleurs à des travaux pointus de recherche, n’était pas en reste, avec la présence du médecin en chef Ivan Djanciz, de l’Institut FGBU de Donetsk, spécialisé dans la chirurgie d’urgence et venant proposer également l’expérience des chercheurs du Donbass. L’Institut travaille actuellement sur l’extension de ses projets, et le lancement de recherches, motivées en grande partie par l’état de guerre que subit la RPD depuis plus de 11 ans. Le chercheur et chirurgien rappelait par ailleurs que le projet gravitait et s’étendait aux territoires voisins de la fameuse « Nouvelle Russie », la Novorossia, avec les oblasts voisins de la RPL, de Kherson ou de Zaporojie. Du point de vue culturel, le forum fut ponctué de l’intervention de nombreux artistes, associations, ensembles de danses et chanteurs, dont une bonne part promouvaient en Russie la culture coréenne.
La Corée du Nord à la rescousse du Donbass. Certainement la question qui taraude ici mes lecteurs est celle concernant les fameux « soldats nord-coréens » en Ukraine. Il ne fut nullement question de cela dans le forum, ni de près, ni de loin, mais de la position ancienne de la Corée du Nord vis-à-vis des deux républiques du Donbass. Divers intervenants ont rappelé que le pays fut l’un des premiers à s’intéresser à la RPL et à la RPD, bien avant même la date de l’opération spéciale. Dans les conditions difficiles d’un isolement diplomatique et économique, couplé par un blocus de l’Ukraine, les deux républiques n’avaient pu survivre que par la préservation d’une façade et frontière avec la Russie. Lors de la journée du Ministère des Affaires étrangères de la RPD (oùje me trouvais au printemps 2016), les seuls diplomates présents étaient ceux de deux autres états non reconnus par la communauté internationale, à savoir l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud-Alanie. Deux pays après le déclenchement de l’opération spéciale russe, membres de l’ONU, vinrent reconnaître leur indépendance, à savoir la Syrie, déjà menacée et ensuite détruite par la coalition islamo-occidentale (juin 2022), puis la Corée du Nord (juillet 2022). La présence de plusieurs représentants de la RPD était donc dans la logique d’une grande reconnaissance, avec en plus du docteur Djanciz, celle de Monsieur Igor Reznikov, haut-fonctionnaire et adjoint de la représentation de la République Populaire de Donetsk à Moscou. La république, comme celle de Lougansk, avait en effet connu comme la Corée du Nord un long chemin en marge de la communauté internationale. Dans un sens, avec ce parcours commun, cette décision de la reconnaissance des deux entités, puis des référendums de septembre 2022, se trouvait une évidence : les trois pays, ainsi que leurs populations avaient été victimes d’un ennemi commun : « l’impérialisme de l’OTAN ».
Un monde multipolaire où la Corée du Nord aura sa place. Que l’on avalise ou non le narratif occidental sur la Corée du Nord, que l’on pense qu’il s’agit d’une dictature, ou d’un danger pour la paix et la sécurité dans le monde, que l’on condamne même l’État nord-coréen, force est de constater que le pays a survécu à la pression occidentale, à la famine, aux embargos et qu’il s’est en plus doté de l’arme nucléaire. Vivant avec l’épée de Damoclès d’un armistice qui n’a jamais finalement réglé l’état de guerre avec la Corée du Sud, la petite Corée du Nord se sera imposée avec ténacité. Le partenariat de la Russie lui a déjà offert différentes possibilités, comme le lancement d’un satellite avec l’aide de la Fédération Russe (2023). La même année, la presse occidentale s’offusquait de la fourniture de munitions et d’obus à l’armée russe, tandis que l’année suivante, les réseaux furent saturés par les informations sur l’arrivée de soldats nord-coréens sur le front ukrainien. En allumant le feu en Ukraine avec les deux Maïdans (hiver 2004-2005 et 2013-2014), qui eurent pour résultat de déclencher la guerre dans le Donbass (2014), puis l’opération spéciale russe (2022), les USA n’avaient certainement pas imaginé l’aube de ce monde multipolaire qui changera la face du monde dans les années et décennies à venir. Dans un sens la Corée du Nord, que l’on parle de munitions ou de soldats, ne fait rien de plus que ce que font les pays de l’OTAN, la France de Macron en tête. En toute honnêteté, comment pourrait-on lui reprocher ?